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donner, ce que l’on a et n’a pas, son orgueil, son rêve, sa vie, son sang… » Et plus loin encore : « Douce France… si tu mourais, que deviendrait la joie du monde ?… » Et, pour défendre cette beauté, cette splendeur, cette grâce et cette joie, dès le jour où il la vit menacée, Hernando de Bengoechea s’engagea, et, pour la France qu’il aimait, il mourut, le mai 1915, ayant accompli ses promesses, ayant donné « son orgueil, son rêve, sa vie, son sang… »


Il était né à Paris le 3 mai 1889 ; sa mère était Andalouse de vieille race, et son père d’une ancienne famille colombienne d’origine basque qui, fixée en Nouvelle-Grenade dès 1785, comptait déjà parmi ses ancêtres des consquistadors, des navigateurs, des officiers de terre et de mer. L’arrière-grand-père d’Hernando, Miguel Diaz Granados, notable de la vieille ville de Santa-Marta, périt en février 1816 pour avoir été un de ceux-là qui, rêvant et voulant la liberté glorieuse, prirent une haute part à ce grand mouvement d’indépendance férocement réprimé par Ferdinand VII.

Une branche de la maison andalouse de Valenzuela, dont Hernando descendait par sa mère, s’était établie en Nouvelle-Grenade en 1721. Et c’est ainsi que, par le sang paternel et maternel, il descendait deux fois « de ces grands seigneurs de l’indépendance, » puisque son arrière-grand-père, Miguel de Valenzuela, fut également fusillé par ordre de Morillo pendant la Terreur bogotane.

Hernando de Bengoechea naquit donc en portant déjà, au fond de son cœur et dans l’inconscient de ses plus beaux atavismes, l’amour du droit et de la liberté.

À l’âge de douze ans, il quitta Paris avec sa famille pour Bogota. Ce long voyage, la révélation des tropiques, de leurs splendeurs végétales et lumineuses, laissèrent en lui des marques ineffaçables. Il gravit les Andes pour atteindre à un de leurs sommets, Bogota, nid d’aigles, situé à 3 600 mètres au-dessus du niveau de la mer, et riante, comme une fleur épanouie insoucieusement au bord des précipices azurés. Il traversa, pour atteindre l’aire enchantée et son climat égal et toujours printanier, les régions les plus brûlantes et les plus somptueuses de la nature d’Amérique. Dans ses poèmes, dans ses proses