Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 35.djvu/604

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et lui arrivent parfois sous la forme de lettres anonymes.

Il n’avait jamais eu une grande confiance dans l’attachement du peuple ; mais il se croyait sûr de l’armée, surtout depuis qu’il l’avait conduite à la victoire ; aussi lorsque quelque avis mystérieux venait le mettre en garde contre les sentimens hostiles attribués à des officiers mécontens, en tenait-il peu de compte. N’empêche qu’après la conclusion de la paix boiteuse à laquelle il n’a pu se dérober, il sent naître autour de lui une sorte de malveillance, qui remplit son cœur d’amertume, surtout lorsqu’il est de la part de ses ministres ou de la Chambre l’objet de quelque procédé désobligeant, comme par exemple celui qui consiste à supprimer sans l’en avoir averti le crédit qui lui était alloué pour l’entretien de ses gardes du corps. Il constate ainsi avec un douloureux regret qu’il règne sur un peuple dont les sentimens ne sont pas d’accord avec les siens, qu’il est privé de toute initiative par la constitution, contrecarré dans tous ses plans par des ministres hostiles et abandonné par les Puissances. Son sort ne fut jamais moins enviable ; il est las de cette couronne si lourde à porter. Cependant, il n’abdique pas, retenu peut-être par l’espoir du brillant mariage auquel il n’a pas cessé de penser et qui transformerait sa destinée, ou par la crainte d’apparaître à l’Europe comme un prince sans énergie et sans volonté.

Nous avons dit qu’à la suite de la paix de Bucarest, des officiers bulgares en grand nombre s’étaient offensés de n’avoir pas reçu les récompenses qu’ils avaient méritées. Parmi les mécontens, beaucoup s’étaient résignés à ce déni de justice et dans la plupart des régimens, la discipline n’avait pas été atteinte. Dans quelques autres, au contraire, la rébellion, quoique timide encore, s’annonçait en paroles ardentes, sans que toutefois le gouvernement s’en fût alarmé au point de craindre une sédition. C’est cependant une sédition qui se préparait.

Elle éclata dans la nuit du 20 au 21 août à Pernick, petite localité située dans la grande banlieue de Sofia. Un régiment, fort de deux bataillons et désigné sous le nom de régiment de Kustendil y tenait garnison. Quelques officiers appartenant à d’autres corps s’y présentent, la nuit venue, font appel à la solidarité de leurs camarades et les entraînent avec leurs troupes à marches forcées sur la capitale.