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comte de Khevenhüller, ministre d’Autriche en Serbie, qui lui présentait une dépêche télégraphique envoyée de Vienne par le comte Kalnocky, chef du gouvernement austro-hongrois et ainsi conçue :

« Prévenez le prince Alexandre que, s’il refuse l’armistice qui lui est demandé et poursuit sa marche, il trouvera l’armée autrichienne sous les murs de Belgrade. »

On voit s’épanouir dans cet ultimatum la politique astucieuse de l’Autriche. Elle intervient en faveur de la nation serbe, bien qu’elle rêve déjà de l’anéantir, parce qu’elle ne veut pas laisser cet anéantissement se consommer au profit de la nation bulgare. Par un avertissement préalable donné au roi Milan, elle aurait pu empêcher cette guerre. Si elle n’est pas intervenue, c’est qu’elle espérait que les deux adversaires sortiraient de la conflagration également affaiblis. Mais quand elle voit la Serbie gravement menacée et la Bulgarie triomphante, elle élève la voix en faveur du vaincu, non par humanité, mais afin que le vainqueur ne puisse pas puiser dans la victoire plus de force et d’autorité sur les populations de la péninsule des Balkans, où elle entend dominer seule, afin de prévenir l’extension du slavisme, que protège la Russie.

Arrêté sur la route de Belgrade par le télégramme impératif de Kalnocky et hors d’état de résister à cette injonction comminatoire, Alexandre est contraint d’obéir, d’autant qu’à l’exemple de l’Autriche-Hongrie, les Puissances signataires du traité de Berlin se mettent en mouvement pour lui imposer la paix. Elle est signée le 3 mars 1886 à Bucarest, mais n’apporte aux Bulgares ni compensations en argent ou en territoires, ni profits d’aucune sorte. Le seul gain qu’ils en retirent, c’est que personne ne leur conteste plus la possession de la Roumélie, et que la Turquie elle-même consent à leur octroyer le gouvernement de la province annexée. Mais cette satisfaction accordée à l’orgueil national ne suffit pas aux ambitions et aux espérances de l’armée. Elle reproche au prince de n’avoir pas rendu suffisamment hommage à la valeur des soldats, d’avoir laissé sans récompense les plus valeureux de ses officiers, et peut-être, en effet, ne s’est-il pas assez préoccupé de payer leur vaillance. La presse se fait l’écho de ces reproches, et le prince, qu’au lendemain de la victoire, on couvrait de fleurs, est l’objet de critiques amères, dont la plupart sont sans fondement