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dans cette auguste réunion : il s’est entretenu particulièrement avec l’empereur de Russie et il est resté muet quant à ses intentions sur la Roumélie orientale. A Franzesbade, ayant rencontré le premier ministre russe, le comte de Giers, il s’est tenu sur la même réserve ; il a également gardé le silence envers l’empereur d’Autriche qui l’avait invité à assister aux grandes manœuvres de Bohême.

C’est surtout ce silence que la Russie ne lui pardonne pas, Les officiers et les fonctionnaires russes restés en Bulgarie sont rappelés et, dès ce moment, la rupture entre Pétersbourg et Sofia est définitive, bien que le prince Alexandre ait sollicité l’agrément du Tsar à la révolution et demandé son appui pour le cas où la Sublime-Porte voudrait s’opposer par la force à l’événement qui vient de s’accomplir. Mais la Turquie, puissance suzeraine, de qui toutes les Cours attendaient au moins une protestation, se tait malgré la violation de ce traité de Berlin qui la protège encore contre le dépouillement total dont elle est menacée.

La diplomatie est gémissante, elle déplore que personne n’intervienne pour faire respecter ce que le Congrès avait laissé debout. « Tout sera remis en question ; déjà la Serbie ronge son frein et bientôt ce sera à qui voudra avoir un morceau de l’Empire ottoman. » On ne s’explique donc pas l’indolence de la Sublime-Porte et l’on se demande si cette attitude ne lui est pas conseillée par l’Angleterre qui, en fin de compte, ne semble pas trop défavorable à l’union bulgare. On se pose la même question au sujet de l’Autriche soupçonnée d’avoir approuvé d’avance l’événement par lequel les Balkans vont être de nouveau troublés, ce qui ne peut que favoriser sa politique et ses desseins. Quant à Bismarck, il ne paraît pas mécontent. Ce qui vient de se passer envenimera, pense-t-il, la rivalité de la Russie et de l’Autriche dans les pays slaves et de ce chef l’alliance austro-allemande sera fortifiée.

Le langage qu’il tient à cet égard au baron de Courcel, ambassadeur de France en Allemagne, est significatif.

— La Russie, dit-il, voit partir, au moment où elle s’y attend le moins, des torpilles et des mines qu’elle a posées elle-même. Peut-être le gouvernement russe fait-il la réflexion que s’il a trouvé la principauté bulgare insuffisamment docile à ses directions quand elle ne comprenait qu’une seule province, il a peu