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pour son Mystère de la Charité de Jeanne d’Arc. Déjà il est le traditionaliste tourné d’instinct vers le passé pour y appuyer l’avenir. Il professe « une aversion sincère de la démagogie. » Il ne se borne pas à la détester, il lui dit son fait : avec quelle verve cinglante, quelle profondeur de mépris ! Écoutez-le, faisant parler l’électeur :

« J’ai tort, j’ai tort, mais savez-vous, monsieur, que vous êtes un homme singulier. Vous êtes nouveau, vous. Vous êtes un homme qui a de l’audace. Vous m’enseignez des mots nouveaux. Un mot nouveau. Vous prétendez que j’ai tort. Savez-vous que vous êtes le premier qui ait osé me dire que j’ai tort ? Quand je vais trouver les conseillers municipaux de mon pays, au moment des élections, ils ne me disent pas que j’ai tort ; ils me disent toujours que j’ai raison, qu’ils sont de mon avis, qu’il faut que je vote pour eux. Jamais un conseiller d’arrondissement, ni un conseiller général, ni un député, ne m’a dit que j’avais tort. »

Savourez maintenant ce guide-âne du candidat :

« Il faut faire croire aux électeurs que leur compagnie est la plus agréable du monde, que leur entretien est la plus utile occupation, qu’il vaut mieux parler pour eux quinze que d’écrire pour dix-huit cents lecteurs, que tout mensonge devient vérité, pourvu qu’on leur plaise, et que toute servitude est bonne, à condition que l’on serve sous eux. »

Et la conclusion :

« Un exemple vous facilitera l’entendement. Quand les électeurs de la première circonscription d’Orléans sont convoqués pour élire un député, ils ne se demandent pas qui sera le meilleur député. Car le député d’Orléans n’est pas le délégué d’Orléans à la meilleure administration de la France avec les délégués des autres circonscriptions françaises. Mais, puisque nous vivons sous le régime universel de la concurrence et puisque la concurrence politique est la plus aiguë des concurrences, le député d’Orléans est exactement le délégué d’Orléans à soutenir les intérêts Orléanais contre les délégués des autres circonscriptions, qui eux-mêmes en font autant. Le meilleur député d’Orléans sera donc celui qui défendra le mieux le vinaigre et les couvertures et le canal d’Orléans à Combleux. Ainsi se forme ce que le citoyen Daveillans nomme à volonté la volonté démocratique du pays républicain, ou la volonté républicaine du pays démocratique.