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autrement que les paysans, et si quelques-uns étaient d’avis qu’il fallait encore ajourner l’union par égard pour la Russie, tous s’accordaient pour reconnaître que l’ajournement devait être de courte durée.

Dans les garnisons de Roustchouk et de Philippopoli, l’opinion était dirigée par des officiers énergiques, résolus et violens, accoutumés à une politique d’intrigues et de complots et qui n’avaient pas toujours reculé devant le crime. Préparés à user de tous les moyens pour réaliser leurs vues, ils poussaient l’intolérance jusqu’à menacer des pires traitemens ceux de leurs camarades qui n’approuvaient pas leurs plans.

L’un d’entre eux, que ses exploits contre les Turcs avaient rendu populaire en Bulgarie, tenait dans sa main ces groupes d’énergumènes, toujours disposés à le suivre là où il lui plairait de les conduire. Jeune, actif, entreprenant, doué d’une force herculéenne, accoutumé à frayer avec la basse population des villes et des champs, il parlait son langage et possédait au plus haut degré l’art de la convaincre et de l’entraîner. Il se nommait Panitza et avait le grade de major. Nous le retrouverons plus tard, mêlé à des drames sombres, et victime lui-même des passions qu’il avait déchaînées. Contentons-nous de rappeler, en attendant, que ceux qui l’ont connu le représentent comme un condottiere, un reitre du Moyen Age, bon à tout, prêt à tout ; véritable type d’aventurier et de provocateur de troubles, qui avait pris part à diverses émeutes et s’était fait un renom de cruauté qui le rendait redoutable. On n’exagérait pas en disant de Panitza que c’était un chef de brigands.

C’était aussi un politicien non dépourvu d’habileté ; il le prouva en constituant un comité révolutionnaire, qu’on vit fonctionner à Philippopoli pendant l’été de 1885 et qui eut bientôt fait de soumettre à ses directions toute la Roumélie, en exerçant un véritable terrorisme. C’est par les ordres de ce comité soumis à l’autorité de Panitza qu’une insurrection éclate à Philippopoli le 18 septembre, au lever du jour. Elle s’annonce d’abord par une invasion de la ville, où pénètrent à l’improviste quelques centaines de paysans, aux cris de : « Vive l’union ! Vivent les Bulgaries unies ! Vive le prince Alexandre ! » Aux envahisseurs se mêlent bientôt la garnison, ses officiers et les habitans. Panitza, aidé de quelques-uns de ses camarades, a vite fait de mettre de l’ordre dans ce désordre. En quelques