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Du reste, au même moment se préparait un événement qui allait retentir dans les Balkans comme un coup de foudre et apporter dans son existence, jusque là si tourmentée, une diversion assez puissante pour l’autoriser à croire que ses déceptions touchaient à leur terme et qu’une ère réparatrice s’ouvrait pour lui.


III

Quoique, pour ne pas altérer ses rapports déjà si troublés avec la Russie, le prince Alexandre se fût imposé comme règle de conduite d’éviter dans ses discours des allusions à l’éventualité d’une réunion prochaine de la Roumélie orientale à la principauté, la question lui était trop à cœur pour qu’il s’en désintéressât. Il l’avait toujours présente à l’esprit, convaincu que, le jour où elle serait résolue par la formation d’un grand Etat enclavant toutes les contrées bulgares, la perpétuité de son règne serait assurée ; il pourrait alors se marier et fonder une dynastie. Jusque là, quand il parlait de la Roumélie, il devait mesurer ses paroles et dissimuler ses aspirations et ses espérances.

Il n’avait pu cependant empêcher que fréquemment des mouvemens se fussent dessinés dans les pays rouméliotes, en faveur de l’annexion et eussent revêtu parfois un caractère d’émeute ou même dégénéré en rixes sanglantes, comme pour rappeler à l’Europe qu’il existait une nation dont les arrêts du Congrès de Berlin prolongeaient l’esclavage. Il s’était toujours efforcé de modérer par ses conseils ces manifestations dont on s’irritait à Saint-Pétersbourg, mais qu’il n’aurait pu condamner ouvertement sans encourir de la part de son peuple un blâme qui eût peut-être abouti à l’impopularité. Toutefois, nul n’ignorait que l’annexion à la patrie bulgare des contrées restées sous le joug musulman, était pour lui, comme pour ses sujets chrétiens, une nécessité nationale. On savait qu’il brûlait de leur donner cette satisfaction patriotique et de se la donner à lui-même.

En attendant, cette cause ne cessait de recruter des adeptes. En Roumélie, leurs rangs se grossissaient sans relâche et les habitans des campagnes y figuraient pour une large part. Dans les villes, les boutiquiers, les petits rentiers, les professeurs, les avocats, les publicistes, l’armée elle-même, ne pensaient pas