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amis sincères assurément, mais dangereux parce qu’ils ne comprenaient pas comme lui l’orientation qu’il convenait de donner à la politique bulgare.

Au mois de septembre 1883, il constate qu’ils menacent l’indépendance nationale et que lui-même, isolé et paralysé dans la puissance nominale qui lui est dévolue, n’a pas assez d’autorité pour défendre cette indépendance gravement menacée. Devant le péril qui grandit d’heure en heure, les partis, qui, la veille encore, semblaient prêts à en venir aux mains, se réconcilient et s’accordent pour exiger du gouvernement la restauration du régime parlementaire, considéré comme le seul instrument qui puisse garantir l’autonomie bulgare contre les périls qui montent autour d’elle. Il est fait droit à leur requête et, dans un geste généreux, le prince abandonne volontairement les pouvoirs extraordinaires qui lui avaient été dévolus à Sistowo ; il n’en conserve rien et retombe ainsi au pouvoir des factions qui déchirent la Bulgarie, tandis que son retour à l’ancienne constitution le brouille irréparablement avec la Russie. Le gouvernement impérial rappelle les officiers russes engagés dans l’armée bulgare, ainsi que les personnages politiques qu’il avait mis au service de la principauté ; le prince Alexandre se trouve de nouveau à la merci des agitateurs.

Dès ce moment, son existence, déjà si remplie de cruelles épreuves, devient un véritable calvaire. On ne saurait être surpris qu’une fois de plus un amer découragement s’empare de lui, qu’il se désintéresse dans une certaine mesure des affaires de l’Etat et qu’il en laisse la direction à ses ministres.

Ses excursions à travers la principauté deviennent de plus en plus fréquentes. La distraction en est l’unique but ; tantôt c’est la chasse, tantôt des manœuvres militaires. Il lui arrive aussi de s’arrêter pour plusieurs jours dans quelque monastère, au sein des montagnes, et d’y chercher dans une solitude bienfaisante un repos réparateur. A Sofia, il ne reçoit que des intimes, les voyageurs de marque, les agens étrangers ; la vie de Cour, qui, dans son ménage de garçon, a toujours été dépourvue d’apparat, est maintenant entièrement suspendue.

Les témoins de cette existence sont tentés de croire qu’il songe à abdiquer ; il semble en effet que, dans la situation qui lui est faite, ce serait le parti le plus digne et le plus honorable. Toutefois, son attitude et son langage n’autorisent pas à penser