Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 35.djvu/594

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

enquête sur l’état du pays. Enfin le prince lui demanderait la révision de la constitution et les pouvoirs nécessaires pour gouverner seul pendant sept ans. Si sa demande était repoussée, il abdiquerait. C’est à Sistowo que la grande Assemblée devait délibérer. Les auteurs du projet avaient choisi cette ville à dessein ; le prince y comptait de nombreux partisans et il serait possible d’y tenir à sa disposition un bateau à vapeur sur lequel, en cas d’échec, il pourrait quitter immédiatement la Bulgarie.

C’était, on le voit, un véritable coup d’État qu’Ehrenroth proposait à l’agrément du prince. Alexandre n’hésita pas à y donner son approbation, mais celle des Puissances et plus particulièrement de la Russie ne lui était pas moins nécessaire. Il se préparait à la solliciter, lorsque, le 15 mars 1881, on apprenait à Sofia que l’empereur Alexandre II venait de périr à Saint-Pétersbourg, assassiné par des nihilistes. Le prince convoquait aussitôt les ministres et ceux-ci décidaient son départ immédiat pour la Russie. Comme pendant son absence précédente, c’est le Conseil tout entier qui était investi de la lieutenance ; il eût été plus dangereux que jamais de déléguer à Karavélof seul la plénitude du pouvoir ; on n’ignorait pas ses relations avec les révolutionnaires russes et l’on savait aussi que le nihilisme comptait en Bulgarie de nombreux partisans, surtout parmi les Bulgares qui avaient reçu leur éducation dans les gymnases et les universités de l’Empire.

De retour au mois de mai, le prince rapportait de son voyage une adhésion formelle de la chancellerie impériale ; il se félicitait en même temps d’avoir reçu du tsar Alexandre III un accueil plus bienveillant que celui auquel l’avait accoutumé en ces derniers temps Alexandre II.

— L’Empereur m’a semblé peu se soucier de la Bulgarie, disait-il au représentant de la France, et m’a laissé la liberté d’agir d’après mes propres inspirations^ Pour lui, c’est ma personne qui représente le pays ; c’est à moi que sont liées l’existence et les destinées de la principauté. Il admet même, pour le cas où je devrais abdiquer, la dictature d’une commission formée des agens des grandes Puissances pour gouverner la Bulgarie. A Vienne et à Berlin où la situation du pays est exactement connue, j’ai trouvé des sentimens analogues. A Darmstadt, j’ai reçu de mon père le conseil de modifier légalement