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à réagir, il laissait dire et laissait faire, autant parce qu’il ne savait encore comment s’y prendre pour se délivrer du tyran que parce qu’il craignait d’échouer dans sa tentative.

Pendant ce temps, Karavélof semblait s’ingénier à lui prodiguer, les témoignages de son hostilité ; il s’efforçait de l’exclure de toute participation aux affaires et ne perdait aucune occasion de rabaisser son prestige aux yeux des populations. D’autre part, il exigeait de ses collègues une soumission absolue à ses volontés. A l’exception du général Ehrenroth, tous courbaient la tête devant lui. Le général s’était donné pour but de l’empêcher de mettre la main sur l’armée et il y réussissait. Mais partout ailleurs, Karavélof était le maître :

« Les lois votées ne sont pas appliquées, écrivait-on. Karavélof révoque, emprisonne, met les gens en jugement et en toutes choses n’en fait qu’à sa volonté. Il va jusqu’à intercepter les pétitions et les télégrammes adressés au prince. »

Celui-ci gémissait d’être désarmé par la constitution à laquelle il avait prêté serment.

— Ce serment, déclarait-il à ses confidens, je veux le tenir et je le tiendrai. Mais je suis dans l’alternative de faire réviser la constitution ou d’abdiquer.

En attendant de prendre un parti, il décidait de voyager et disparaissait pour quelques semaines après avoir confié la lieutenance de la principauté non pas à Karavélof seul, mais au ministère tout entier. Il y comptait un homme dévoué à sa cause, Ehrenroth, qui s’était fait son défenseur et qui l’entretenait souvent de la nécessité de mettre un terme à son esclavage ; il savait que ce serviteur fidèle saurait protéger l’armée contre les intrigues du ministre des Finances.

Lorsqu’il rentra à Sofia, au bout de quelques semaines, la situation, loin de se modifier, était devenue plus intolérable encore. Mais alors, Ehrenroth intervenait et, secondé par Stoïlof, haut fonctionnaire ami du prince, il lui suggérait un projet qui, selon lui, devait délivrer le pays de la dictature du premier ministre. Ce projet consistait d’abord à exiger la démission du Cabinet tombé dans une complète impopularité et à le remplacer avec l’agrément des agens des Puissances par des conservateurs que le prince présenterait à la nation dans un manifeste. On convoquerait alors la grande Assemblée et, en attendant sa réunion, on procéderait, pour la lui soumettre, à une vaste