Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 35.djvu/592

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Prudence et patience.

Il suivra ce conseil ; il dédaigne celui que lui donne l’Autriche, qui, toujours désireuse d’embrouiller les cartes dans les Balkans, le pousse à faire appel à l’Europe. Il se contentera d’user du droit de dissolution, maigre le parti qui le lui conteste, et, sa résolution définitivement arrêtée, il en fait part au représentant de la France.

— Je ne veux ni troubles ni coup d’Etat ; je ne songe qu’à l’organisation de la principauté. Je ne veux pas entendre parler de la Roumélie orientale, et je désirerais même que l’Europe oubliât la Bulgarie. Je sais que la moindre commotion ici pourrait avoir un contre-coup en Europe et entraîner des complications très graves que je dois à tout prix éviter.

Décidé à conformer sa conduite à ses paroles et à ne recourir qu’à ses droits constitutionnels pour résoudre les difficultés que lui suscitait l’opposition, le prince Alexandre, lassé d’une crise ministérielle qui durait depuis un mois, prenait acte de l’impuissance de Karavélof et prononçait la dissolution du Sobranié. Une Chambre nouvelle était élue et se réunissait le 23 mars 1880. Il fallait bientôt reconnaître qu’elle ne valait pas mieux que la précédente. Les conservateurs y étaient en minorité et ne pouvaient espérer d’arriver au pouvoir. Quant aux libéraux, étant donné leur division en deux groupes, le plus modéré dirigé par l’ancien maître d’école Zancof, le plus avancé obéissant comme un seul homme à Karavélof, il était évident qu’ils n’arriveraient à former un gouvernement que s’ils faisaient trêve à leurs querelles. Lorsqu’ils s’en furent convaincus, ils se rapprochèrent. Grâce à leur entente, un Cabinet était enfin constitué sous la présidence de Zancof, avec Karavélof comme ministre des Finances. Voulant soustraire l’armée à l’influence des politiciens, le prince avait fait attribuer le portefeuille de la Guerre au général Ehrenroth, Finlandais de naissance venu de Saint-Pétersbourg avec les missions russes et qui, dès son arrivée, avait gagné sa confiance par la fermeté de sa parole, la sagesse de ses vues et les témoignages de son loyal dévouement.

Dans ce ministère, Karavélof devenait promptement le maître. Son autorité s’exerçait souverainement, comme celle d’un dictateur et au point, disait-on, de devenir un danger public. Le prince la subissait par amour de la paix. Impuissant