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sous les traits « d’un agitateur sordide, haineux, détraqué par momens, ours mal léché aux traits amers, dont la tête ombragée d’une forêt de cheveux noirs longs et bouclés s’enfonce dans les épaules, type de politicien de brasserie, étranger à tout raffinement de vie [1]... » C’est aussi un tribun dont l’éloquence fougueuse entraîne les foules, non par des appels à leur cœur et à leur générosité, mais par des excitations véhémentes à la haine et au mépris de quiconque ne partage pas leurs convictions.

Devant un tel portrait, il est aisé de comprendre que le prince Alexandre ait eu quelque mérite à confier les affaires de son gouvernement à ce Rabagas dont la mentalité diffère tant de la sienne et que lui impose une majorité toujours prête à obéir aux intrigans, aux ambitieux et aux fauteurs de désordre. Mais il n’oublie pas qu’il est souverain constitutionnel et c’est avec une entière bonne foi, et même en souhaitant à son mandataire un prompt et brillant succès qu’il le convie à exercer le pouvoir. L’effort de Karavélof aboutit à un échec, faute d’hommes de valeur dans le parti avancé et aussi parce que ses égaux en influence et en talent se croient les mêmes droits que lui à la présidence ou veulent, dans un intérêt personnel, lui dicter des conditions inacceptables. Après vingt jours de négociations et de démarches, Karavélof est obligé d’avouer son impuissance, et, comme aucun autre que lui ne pourrait réussir là où il a échoué, la situation apparaît sans issue. La dissolution pourrait seule la dénouer. Mais un groupe important de la Chambre qui obéit à Stamboulof conteste au prince le droit de dissoudre. Le futur dictateur que l’Assemblée a validé, bien qu’il n’ait pas encore l’âge d’éligibilité, prend parti dans cette crise avec tant d’ardeur qu’Alexandre incline à reculer devant le conflit qui s’annonce par des votes attentatoires à ses droits et à ses attributions. Ne ferait-il pas mieux d’abdiquer et de fuir un pays où, à peine arrivé, il est déjà traité en ennemi par un groupe de politiciens qui veulent le contraindre à se soumettre ou à se démettre ? Il hésite cependant à recourir à cette mesure extrême non plus qu’à toute autre qui pourrait être interprétée comme un coup d’Etat. Il se rappelle que l’empereur de Russie lui a dit :

  1. E. Queillé, Les Commencement de l’indépendance bulgare, Paris, Bloud.