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à la Bulgarie par le Tsar libérateur, et ceux qui la redoutent comme attentatoire à l’indépendance bulgare. Nous touchons ici à la cause principale des agitations dont la Bulgarie a été le théâtre jusqu’au jour où, en 1896, Ferdinand de Cobourg, plus habile ou plus heureux que ne l’avait été Alexandre de Battenberg, se réconcilia avec le gouvernement russe, en des circonstances que relatera la suite de ce récit. Mais on n’en était pas encore là, au début du règne d’Alexandre, alors qu’on pouvait pressentir le malentendu qui allait naître, se développer et s’envenimer entre les protecteurs avides d’une gratitude que méritaient leurs bienfaits et les protégés qui ne voulaient pas en pousser le témoignage jusqu’à paraitre abdiquer leur nationalité.

Nous devons passer sur ces épisodes dont il serait aussi peu intéressant qu’opportun de rappeler les péripéties déjà lointaines et les acteurs depuis longtemps voués à l’oubli. Ce qu’il faut seulement en retenir comme l’une des causes des malheurs du prince Alexandre, c’est qu’il se trouva bientôt placé entre ce qu’exigeait sa reconnaissance envers l’Empereur, à qui les Bulgares devaient la liberté et lui-même la couronne, et ce que lui commandait la nécessité de ne pas froisser leur patriotisme en se prêtant à l’influence russe sous toutes ses formes et dans tous ses effets.

D’abord, il naviguera assez habilement à travers ces écueils. Mais, alors qu’il règne depuis dix-huit mois à peine, le premier ministère qu’il a formé avec le concours des conservateurs, qui représentent l’élite, est l’objet d’attaques violentes de la part des libéraux, qui représentent le nombre, et, dans ce pays qu’on supposait devoir rester rebelle aux intrigues de couloirs et aux finasseries de la lutte pour le portefeuille, tout se passe comme dans les États rompus depuis longtemps aux mœurs parlementaires. L’opposition ne désarmant pas et battant en brèche le ministère, le prince fait appeler l’homme qui la dirige, le député Karavélof, et à qui elle obéit en quelque sorte automatiquement ; il le charge de former un nouveau Cabinet, en lui déclarant qu’il le laisse entièrement libre d’appeler au pouvoir qui bon lui semblera.

Autrefois étudiant à Moscou, Karavélof ne possède à aucun degré les qualités d’un homme de gouvernement. Un fonctionnaire de la Cour de Sofia qui l’a beaucoup connu nous le présente