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l’avait trouvée incomplète, pleine de pièges et grosse de périls pour le prince chargé de l’appliquer. Usant de son autorité paternelle, il lui conseillait de refuser la couronne bulgare, si la constitution n’était pas profondément modifiée. Ses conseils revêtirent parfois un caractère si pressant, que le prince Alexandre disait plus tard :

— Mon père m’avait défendu d’accepter la dignité princière, si la constitution était maintenue ; que ne l’ai-je écouté !

Quelques jours après sa visite à la maison paternelle, il se présentait à Livadia où se trouvait alors l’empereur Alexandre II. Là, il entendit un tout autre langage ; le souverain insista pour qu’il ne se refusât pas à ce qu’on attendait de lui.

— Acceptez cette couronne dans les conditions où elle vous est offerte ; plus tard, on révisera la constitution, et ce sera d’autant plus facile qu’on en aura vu les inconvéniens.

Le jeune prince était arrivé à Livadia à peu près résolu à repousser les offres bulgares ; mais, après son entrevue avec le Tsar, il considéra comme un devoir de ne pas persévérer dans son refus. Quoique inquiet de l’avenir et le cœur déchiré à la pensée de quitter sa famille et son pays, il consentit à régner. Il l’annonça lui-même à une députation de la grande Assemblée nationale bulgare qui, ne l’ayant pas trouvé à Darmstadt, était venue lui apporter à Livadia le résultat du vote. Il partit aussitôt pour la tournée diplomatique qu’il avait projetée ; il était assuré d’être partout favorablement reçu, tous les gouvernemens ayant approuvé son élection.

Le 28 mai, après avoir passé par Vienne, il était à Berlin ; il en partait le lendemain pour Paris où il restait jusqu’au 4 juin, se rendait alors à Londres, terminait son voyage par une visite au Sultan son suzerain et enfin, dans l’après-midi du 8 juillet, il arrivait a Tirnovo, portant l’uniforme des généraux bulgares et ayant suffisamment appris la langue du pays pour répondre dans cette langue aux discours qui lui furent adressés.

Tout ce début de règne semble annoncer des jours heureux. La grâce personnelle du prince, l’accent pénétrant de sa parole, son visage qui trahit tout à la fois la droiture, l’intelligence et la bonté et enfin le prestige dont le pare aux yeux de ses sujets le patronage de la Russie, tels sont les dons et les avantages qui lui assurent les sympathies de la foule. Lorsque, à Tirnovo, après avoir assisté au Te Deum solennel, chanté pour célébrer