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lieutenant aux dragons hessois ; ayant alors obtenu par l’entremise de sa tante l’impératrice de Russie de prendre rang pendant la durée de la guerre dans les troupes russes et attaché d’abord à l’état-major du grand-duc Nicolas Nicolaïevitch, puis à celui du prince Eugène de Leuchtenberg, il avait assisté à la plupart des grandes actions de cette campagne et s’y était distingué. Rentré en Allemagne après la guerre, il venait d’être nommé lieutenant aux gardes du corps de l’Empereur, lorsque à l’improviste l’élection de Tirnovo le jetait dans une carrière nouvelle et ouvrait à ses jeunes ambitions un avenir inespéré. Néanmoins, il semblait plus ému qu’entièrement heureux ; ce n’est pas sans quelque embarras qu’il recevait les félicitations qui lui étaient prodiguées par les diplomates et par les gens de cour.

— Avant d’accepter, disait-il, je veux consulter mon père ; je tiens aussi à m’assurer de l’adhésion verbale de l’empereur de Russie.

Autour de lui on s’étonnait de ses hésitations, on en suspectait, non sans ironie, la sincérité et on lui attribuait le dessein de se faire prier avant de donner son consentement. C’était le méconnaître et presque le calomnier. S’il hésitait, c’est que, grâce aux informations qu’il avait déjà recueillies sur l’état de l’âme bulgare, il pouvait mesurer l’étendue de la tâche qui s’offrait à lui, et craignait qu’elle ne fût au-dessus de ses capacités et de ses forces. On a raconté qu’à ce moment le prince de Bismarck se serait approché et, témoin de ses perplexités, lui aurait dit :

— Acceptez ; vous pourrez au moins vous dire un jour que vous avez fait un beau rêve.

Quoique le chancelier aimât la raillerie et ne se fît pas faute de le prouver en la mêlant parfois à ses propos, nous doutons qu’il ait tenu au jeune prince un langage aussi peu diplomatique. C’eût été avouer qu’il n’avait aucune confiance dans la durée des arrangemens faits à Berlin relativement à la Bulgarie, et un tel aveu en ce moment eût été une imprudence qu’il était incapable de commettre.

Le prince Alexandre partait le lendemain pour Darmstadt où résidait son père. Nous ne savons qu’imparfaitement ce qui se passa entre eux, mais le peu que nous en savons nous montre le chef de famille particulièrement soucieux de ne pas laisser son fils courir une aventure dont l’issue pourrait lui être funeste. Ayant pris connaissance de la constitution votée à Tirnovo, il