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Ce fut bien pire quand on connut les décisions du Congrès de Berlin. En ce qui touche la Bulgarie, elles ne donnaient satisfaction à personne. La population arrachée au joug musulman se plaignait d’avoir été diminuée et séparée de frères ayant la même origine qu’elle et parlant la même langue, et ceux-ci s’irritaient d’être maintenus sous ce joug sans qu’il existât une bonne raison pour justifier le traitement dont ils étaient l’objet. Vainement les autorités russes qui occupaient encore le pays, sous la haute direction du prince Dondoukoff-Korsakoff, s’efforçaient de prêcher la résignation, déclaraient que le Tsar étant résolu à exécuter loyalement le traité de Berlin, il fallait se soumettre, les contrées sacrifiées ne renonçaient pas à leurs espérances. Le Turc restait pour elles l’ennemi séculaire auquel elles ne se soumettraient jamais volontairement.

Par la suite, cet état de choses s’aggravera, mais dès ce moment et tel qu’il existe, il maintient dans les cœurs des patriotes des ressentimens et des espérances qu’ils manifestent en toute occasion. Lorsque, au mois de mai 1879, le chrétien Aleko-Pacha, sujet ottoman, est nommé, par le Sultan, gouverneur de la Roumélie orientale, il est averti confidentiellement par les Russes qui vont lui céder la place que s’il se présente à Philippopoli, coiffé d’un fez, l’ordre sera troublé et que s’il veut ne pas provoquer une émeute, il doit se coiffer du kalpak bulgare. Il proteste, il déclare que cette exigence est attentatoire à la dignité de son souverain. Il faut une nouvelle insistance pour le convaincre de la nécessité de changer sa coiffure et finalement, comme par hasard, il découvre un kalpak dans ses bagages, ce qui lui vaut une réception enthousiaste. La situation n’en reste pas moins très grave par suite du ressentiment des Rouméliotes et de leurs fureurs ; elle l’est à ce point que l’empereur Alexandre se croit obligé d’enfler la voix pour faire entendre qu’il ne transigera pas sur l’exécution du traité de Berlin. Il la veut complète et entière. Le général Vitalis, son envoyé à Philippopoli, le déclare durement, non sans regretter d’être obligé de morigéner les partisans de la Russie. « Ceux-là sont bien audacieux, dit-il, qui en Roumélie orientale veulent avoir une politique différente de celle de l’Empereur. Vous n’avez à contrecarrer ni à juger ses décisions. Le sang que ses troupes ont versé pour la cause des chrétiens lui donne le droit