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la reine Victoria était intervenue aussi pour nous aider à conjurer le péril qui nous menaçait.

Ce qui est moins explicable, c’est que les auteurs de tant de combinaisons dépourvues de justice aient pu croire que les Bulgares de Roumélie se résigneraient à être séparés de leurs frères de race et à rester sous le joug musulman, alors que ceux-ci en étaient délivrés. L’imprévoyance des diplomates est ici éclatante. Par leurs décisions, ils préparaient la révolution qu’on vit éclater à Philippopoli, en septembre 1885, et qui détruisit en quelques heures l’édifice fragile si laborieusement construit par le Congrès de Berlin. N’empêche que, le 13 juillet, le prince de Bismarck, qui l’avait présidé, rendait hommage aux plénipotentiaires, au moment où ils allaient se séparer, pour l’œuvre qu’ils venaient d’accomplir. En terminant son allocution d’adieux, il leur disait :

« Je ne crains pas d’affirmer que le Congrès a bien mérité de l’Europe. S’il a été impossible de réaliser toutes les aspirations de l’opinion publique, l’Histoire, dans tous les cas, rendra justice à nos intentions, à notre œuvre, et les plénipotentiaires auront la conscience d’avoir, dans les limites du possible, rendu et assuré à l’Europe le grand bienfait de la paix si gravement menacée. J’ai le ferme espoir que l’entente de l’Europe, avec l’aide de Dieu, restera durable, et que les relations personnelles et cordiales qui, pendant nos travaux, se sont établies entre nous, affirmeront et consolideront les bons rapports entre nos gouvernemens. »

C’était se couvrir de fleurs à peu de frais.

Tandis qu’à Berlin le Congrès délibérait, les populations balkaniques attendaient anxieusement le résultat de ses travaux. Elles avaient applaudi avec enthousiasme aux victoires russes et à l’écrasement des Turcs. Cet enthousiasme s’était particulièrement manifesté lorsque les armées du Tsar étaient entrées à Sofia et à Philippopoli. La nouvelle de la signature du traité de San Stefano, salué comme l’aube de la délivrance, avait mis le comble à la joie publique. Mais, sur cette joie, l’intervention des grandes Puissances, tout à coup, jetait une ombre. En apprenant qu’elles prenaient fait et cause pour la Turquie et revendiquaient le droit de réviser le traité, les populations étaient retombées sous l’empire de leurs craintes et de leurs angoisses, à l’idée que les Turcs pouvaient revenir.