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Comme pour confirmer ce jugement, la nouvelle se répandait que, par une convention particulière conclue avec la Porte, le Cabinet de Saint-James s’était fait attribuer le gouvernement de l’ile de Chypre.

Ainsi, tandis que le Congrès de Berlin avait eu pour objet avoué de ne pas laisser les Russes porter atteinte aux stipulations du traité signé à Paris en 1856 et de maintenir l’intégrité de l’Empire ottoman, les Puissances ne s’étaient pas fait faute d’arracher à cet empire quelques plumes de ses ailes, et surtout au profit de l’Autriche. Quant à la Russie, elle perdait plusieurs des avantages qu’elle devait à ses victoires ; les conditions qu’elle avait imposées aux vaincus, afin de libérer les Etats balkaniques et de les rendre plus accessibles à sa propre influence, se trouvaient profondément modifiées à son détriment comme à celui des intérêts slaves, et notamment en ce qui touche la Bulgarie.

Le traité de San Stefano avait formé de tous les pays bulgares et de la Macédoine une seule province constituée en principauté autonome, tributaire de la Porte, avec un gouverneur chrétien et une milice nationale, étant entendu que le prince de Bulgarie serait élu par la population et confirmé par la Sublime-Porte avec l’assentiment des Puissances. Le traité de Berlin coupait la Bulgarie en deux. De celle du Nord, il formait une principauté sur les bases du traité de San Stefano, avec Sofia pour capitale. Mais celle du Sud, sous le nom de Roumélie orientale, restait au pouvoir du Sultan, dans des conditions d’autonomie administrative et avec un gouverneur général chrétien, désigné par lui, et la ville de Philippopoli comme siège du gouvernement. On lui laissait aussi la Macédoine, en exigeant de sa part l’engagement d’y procéder à des réformes. Grâce à ces concessions, on lui donnait une satisfaction relative, et ce qui, dans la pensée des plénipotentiaires austro-allemands, était autrement important, on entravait, par opposition à la Russie, les progrès du slavisme.

En s’associant à ces arrangemens, l’Angleterre suivait sa politique traditionnelle, cette politique dont elle devait reconnaître un jour les périls, et à laquelle elle renonça en 1904. Mais on ne saurait s’expliquer que la France s’y soit également associée, alors que trois années à peine s’étaient écoulées depuis la crise de 1875, et qu’elle ait paru oublier qu’elle avait alors reçu de la Russie un secours décisif, si l’on ne se rappelait que