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— Même avant le Congrès ? lui demandait l’ambassadeur.

— Même avant le Congrès. Certainement, je préférerais lui soumettre la question et lui en demander la solution. Mais si les circonstances l’exigent et que nous ne puissions différer sans compromettre nos intérêts vitaux, nous devrons prendre nos mesures. Du reste, nous ne ferons rien, je le répète, sans la sanction de l’Europe.

Ce qu’Andrassy ne disait pas, c’est qu’il rêvait d’étendre jusqu’à Salonique les frontières douanières de l’Empire austro-hongrois au moyen d’un Zollverein dans lequel entreraient la Bosnie et l’Herzégovine à titre de provinces autrichiennes, le Monténégro et la Serbie à titre d’États indépendans, et l’Albanie et la Macédoine à titre de provinces relovant plus ou moins de l’Empire ottoman ; ce serait au profit de l’Autriche la suppression de toute concurrence étrangère.

Mais le ministre austro-hongrois n’avouait pas cette partie de ses desseins ; il s’appliquait uniquement à convaincre les Puissances que l’occupation des deux provinces qu’il convoitait était pour son pays une nécessité nationale.

— Je vous verrai sans défiance les occuper, lui avait répondu l’Angleterre ; mais je ne ferai aucune démarche pour vous aider à obtenir le consentement de la Turquie.

— Même en des termes aussi réservés votre adhésion me suffit, répliquait Andrassy.

Il disait à la France :

— Je ne vous demande qu’une adhésion semblable à celle de la Grande-Bretagne.

Ainsi, peu à peu, il gagnait à sa cause tous les gouvernemens, sauf, bien entendu, la Sublime Porte. Elle se disait arrêtée par des scrupules religieux.

— Nous ne pouvons, d’après le Coran, consentir à perdre des provinces ni les donner, ni les abandonner ; nous ne pouvons y renoncer que si on nous les prend de force.

Mais l’Autriche était si bien décidée à passer outre que, sans attendre la réunion du Congrès et malgré l’opposition que ses projets rencontraient parmi ses sujets de Hongrie, elle mobilisait l’armée qui devait entrer dans les Balkans, et faisait voter par les Délégations les crédits que nécessitait l’entreprise, tout en laissant entendre qu’elle se contenterait d’occuper et d’administrer les provinces au nom du gouvernement turc, assertion