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Congrès. » Constatons en passant que le Tsar, qui d’abord avait repoussé cette exigence qu’il jugeait inadmissible pour sa dignité et pour l’honneur de la Russie, s’était ensuite résigné à la subir et avait consenti à ce qu’elle figurât dans l’invitation.

Il était nécessaire d’évoquer ces souvenirs comme prologue au récit qui va suivre, parce que les événemens qu’on y rappelle et qui ont agité les pays balkaniques jusqu’à en faire le berceau de la guerre de 1914 ont été la conséquence des décisions imprévoyantes et contradictoires arrêtées au Congrès de Berlin.

Il convient aussi de rappeler qu’avant qu’il ne s’ouvrît, plusieurs des États qui devaient y siéger avaient déjà pris leurs précautions pour s’assurer des avantages. La France seule et peut-être l’Italie y arrivaient sans songer à en tirer quelque profit, tandis que l’Autriche en attendait des gains appréciables et ne le dissimulait pas. Voyant avec inquiétude le slavisme se réveiller dans les Balkans, elle cherchait le moyen d’en entraver les manifestations. Mais ne pouvant le faire efficacement qu’à la condition de résider au cœur du pays, elle avait résolu de s’emparer de la Bosnie et de l’Herzégovine, les deux provinces les plus proches de sa frontière, que le traité de San Stefano, tout en stipulant que la Turquie devrait y opérer des réformes, avait laissées au pouvoir du Sultan. Dès le mois d’avril, c’est-à-dire plusieurs semaines avant que la réunion du Congrès eût été résolue, le Cabinet austro-hongrois communiquait ses desseins aux grandes Puissances. Le comte Andrassy en faisait part le 17 mai au marquis de Vogüé, ambassadeur de France à Vienne. A l’en croire, l’Autriche ne voulait pas conquérir des provinces turques, mais elle devait faire cesser l’état de trouble qui régnait sur sa frontière :

— Si nous sommes ainsi amenés à prendre certaines précautions, disait-il, ce sera d’accord avec la Turquie et sans essayer de soustraire nos actes à l’examen de l’Europe.

En dépit de ces promesses, son parti était pris de se passer de l’adhésion de la Turquie, « d’empêcher l’extension exagérée de la Serbie et du Monténégro, » la jonction éventuelle de ces deux Etats, qui aurait à ses yeux pour conséquence l’absorption de la Bosnie et de l’Herzégovine dans un grand Etat slave et sans doute aussi de la Dalmatie.

— Si nous sommes placés entre la perte certaine de la Dalmatie et l’occupation de la Bosnie, déclarait-il, nous n’hésiterons pas.