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En ces circonstances un armistice était conclu entre les belligérans, bientôt suivi de la signature des préliminaires de paix et du traité de San Stefano. L’Angleterre s’était montrée disposée « à laisser faire aux Russes tel acte militaire et telle négociation avec le Sultan qu’ils voudraient. » Mais elle protestait contre tout arrangement contraire aux traités antérieurs et nuisible aux intérêts européens. Le gouvernement austro-hongrois prenait la même attitude, et les deux gouvernemens invitaient la France à les imiter. La conclusion de cet accord, dans lequel entrait bientôt l’Italie, entraînait forcément la réunion d’une conférence ou d’un congrès auquel seraient soumises les stipulations du traité de San Stefano.

La Russie ne prétendait pas se soustraire à cet examen, mais les conditions qu’elle mettait à sa participation au congrès donnèrent lieu d’abord à des débats qui prirent parfois un caractère irritant.

Le 24 février, la situation était extrêmement tendue ; les Anglais menaçaient de se résoudre à la guerre ; leur flotte venait d’arriver devant Constantinople. On ne savait rien des négociations qui se poursuivaient entre Saint-Pétersbourg et Londres, et, de toutes parts, on sentait gronder la menace. A Pesth, les Magyars s’exprimaient en termes violens contre les Russes et leur excitation rejaillissait sur les Viennois, quelque effort que fissent l’empereur François-Joseph, l’archiduc Albert et le comte Andrassy pour apaiser les velléités belliqueuses. A Berlin, le prince de Bismarck ne dissimulait pas ses inquiétudes. Il entrevoyait la possibilité d’une guerre entre la Russie et l’Angleterre seule ou unie à l’Autriche ; ses propos ne trahissaient rien de ses intentions futures, qui sans doute n’étaient pas encore arrêtées. Mais il était d’avis que l’Autriche ne devait pas s’engager dans une aventure.

— Je sais que, sans désirer cette guerre, la Russie ne la redoute pas, disait-il au comte de Saint-Vallier ; elle n’a rien à craindre de l’Allemagne, qui ne voudrait pas tirer l’épée contre l’allié séculaire. Je suis donc convaincu que c’est l’Autriche qui devra céder et dès lors il ne faut pas l’encouragera la résistance.

L’empereur Guillaume renchérissait sur ces pronostics pessimistes et faisait part de ses craintes à l’ambassadeur de la République.

— Nous n’éviterons pas la guerre. L’Angleterre la veut, et