Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 35.djvu/570

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’automne !… et… » toutes ces malheureuses gens se fussent elTondrés. Ils cueillaient des fleurs le long du chemin en redescendant ; les soldats s’arrêtaient dans les débits où on leur offrait du cidre, et tous revenaient à la fois émus et pleins d’espérance.

Le printemps s’écoula ainsi, puis l’été, puis l’automne. Odette, devenue infirmière éminente, se voyait participant à la grande action universelle. Elle lisait les journaux, allait à la poste lire les u communiqués. » À la belle saison, elle descendit quelquefois sur la plage oii des gens nombreux étaient venus faire comme si la guerre n’existait pas. Des officiers blessés ou en convalescence l’animaient ; les croix de guerre commençaient à s’étaler sur les poitrines, voire les médailles au ruban jaune et la Légion d’honneur. Le feu se faisait assez monotone sur le front français ; on lisait dans les journaux la « retraite stratégique » des Russes. Des optimistes n’y voyaient « aucune importance ; » les esprits chagrins s’assemblaient en levant les bras, faisant des yeux de poissons échoués sur la grève. Chaque jour, cependant, chacun apprenait une mort, sinon davantage ; c’était le thème des conversations avec la longueur indéfinie des hostilités, l’absence totale de solution prévisible. Et une bonne humeur courageuse dominait tout le reste, chacun recevant quotidiennement la preuve qu’il y avait beaucoup plus malheureux que lui.

Odette ne parlait jamais de la mort de son mari, quoiqu’elle y pensât sans cesse. Elle n’avait trouvé ni un officier ni un soldat qui l’eût connu. La mort du lieutenant Jacquelin, si belle, au début de la guerre, c’était une disparition pareille à tant d’autres dans une chaîne d’événemens démesurés. Un homme tombait, un homme nouveau surgissait ; presque tous les officiers de carrière étaient morts, et il y avait toujours des officiers. « Qu’est-ce qu’un homme ? » lui dit un jour un simple « poilu » sur la plage.

Parler de son mari ? Mais de quoi pouvait-on parler ? Aux blessés, aux mutilés, aux trépanés qu’elle approchait, elle eût voulu dire sa compassion, son admiration, sa reconnaissance aussi ; mais cela ne se faisait pas : ils étaient trop ! Leur sort était devenu le sort commun…

La fin de septembre, octobre : les tempêtes ; puis le nouvel hiver. Odette tint bon. Mais, au printemps suivant, elle se trouva harassée et partit pour Paris.