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Jusqu’au bout, Péguy sera l’homme de cette anecdote. Il écrira de la mystique chrétienne avec le respect, l’enthousiasme du catholique le plus docile. Mais il s’écarte des sacremens et il ne va pas à la messe. Il est républicain, socialiste dès la première heure. Mais personne n’a déployé plus de franchise et de vigueur à fustiger les défauts et les tares du parti socialiste et du régime républicain.

La règle de sa vie qui en fait la profonde unité, il la formule aux premières pages du premier des Cahiers : « Dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, dire bêtement la vérité bête, ennuyeusement la vérité ennuyeuse, tristement la vérité triste : voilà ce que nous nous sommes proposé depuis plus de vingt mois, et non pas seulement pour les questions de doctrine et de méthode, mais aussi, mais surtout pour l’action. Nous y avons à peu près réussi. Faut-il que nous y renoncions ? » Non certes, jamais il ne consentira à y renoncer. Qu’il se soit parfois trompé sur les hommes et sur les choses ; que la passion même avec laquelle il traitait des uns et des autres l’ait parfois induit en erreur, c’est une autre affaire. Toujours sur tout et sur tous, il a dit, à ses risques et périls, ce qu’il tenait pour la vérité.

À vingt-cinq ans, il a déjà édité deux livres où l’on le trouve tout entier tel que nous le connaîtrons tout le long de sa vie, si courte et si pleine. Jeanne d’Arc, sa première Jeanne d’Arc, si humaine, si attachante, si pitoyable : « Fini d’imprimer en décembre 1897. » Marcel, ou l’utopie socialiste ; entendez par là : une construction purement idéale, élevée, sans aucune préoccupation du réel, sur des bases empruntées aux purs théoriciens du socialisme : « Fini d’imprimer en juin 1898. » Comme s’il eût prévu que son existence serait brève, il se presse. Son mariage à vingt-quatre ans lui apporte une petite fortune que, d’accord avec sa nouvelle famille, il place aussitôt, — il « engloutit » serait plus exact, — dans la fondation d’une librairie. Cette tentative malheureuse fut comme le prologue de la création des Cahiers de la quinzaine.

5 janvier 1900. C’est la date du premier Cahier.

Les vibrations de l’Affaire n’ont pas fini de s’éteindre. On vient de vivre des mois, des années en bataille. On n’a pas