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son drap bien tendu, allonger un bras douloureux et maladroit qui voulait à toute force atteindre au dos du lit la musette suspendue. Elle approcha elle-même le sac de toile à portée du blessé, et celui-ci hésitant, fourgonnant, tâtonnant parmi tout un fourbi où il y avait un couteau, des lettres, des restes de pain, atteignit deux photographies : c’étaient celles de sa femme et de ses deux tout jeunes enfans. Il voulait récompenser la nouvelle infirmière de ses soins ; il faisait ce qu’il pouvait de mieux : il lui présentait sa petite famille.

Odette, émue, adressa un compliment sur sa femme et ses deux enfans au pauvre garçon, qui fut désormais pour elle un ami.

Mais Mme de Calouas venait annoncer l’arrivée des brancardiers pour conduire « la cuisse » au pansement. Odette suivit « la cuisse. » On chargea la nouvelle venue de couper le pansement. La débutante transpirait. Elle crut pouvoir accuser les ciseaux d’être défectueux, ce qui fit rire tous les initiés autour d’elle, sauf le patient qui la regardait avec une angoisse dont elle se sentait comme paralysée.

— Il faut apprendre à couper un pansement, dit Mme de Calouas, vous vous y ferez : c’est un coup de main…

Enfin l’acier parvint à mordre les compresses humides. Quand celles-ci s’écartèrent, la blessure apparut. C’était une fracture ouverte de la jambe. On nettoya. Le malade serrait les dents et, de temps en temps, un cri s’échappait de sa petite figure maigre et brune. Quand on le regardait, il avait le courage de sourire en disant ! « Ça va très bien… »

Odette était plus malade que le blessé. Elle demanda encore, comme la veille, à prendre l’air ; et, à la porte d’entrée, comme elle allait s’évanouir, le planton qui connaissait ces phénomènes, aidé d’un homme, la coucha tout de son long sur la dalle de marbre. Ce ne fut qu’un incident rapide. Elle rentra dans la salle, et, à l’imitation du blessé, dit : « Ça va très bien. » L’affairement ininterrompu lui fit oublier même l’incident. Une infirmière bienveillante l’entraina dans une embrasure et lui fit prendre une goutte d’élixir. On emportait à ce moment à la salle d’opération un homme qui crânait en adressant à ses camarades le classique au revoir qui peut si bien être un adieu :

— Je vais faire ma partie de billard !…

— Tâche de gagner, mon vieux, lui répondait-on de toutes parts.