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avec des torchons humides, et l’on entendait dans les salles, à droite et à gauche, le bruit des seaux à demi pleins d’eau, qu’on transportait en laissant retomber leur anse métallique sur leur flanc. L’air marin, par les vasistas ouverts, pourchassait l’odeur de chambrée. Les hommes valides allaient et venaient, des lavabos à leur lit. Certains d’entre eux aidaient à se laver, sur les couchettes, leurs camarades incapables des bras.

Odette alla à Mme de Calouas et passa d’abord devant les vingt lits à elle attribués, dont une douzaine étaient occupés par des blessés sérieux qui regardaient la nouvelle venue avec une fixité gênante. Mme de Calouas conduisit Odette à la salle de pansement au milieu de soixante hommes échangeant, au réveil, des propos de soldats qui la brusquaient ou l’amusaient, la laissaient surtout étonnée que toutes ces dames n’y prissent seulement pas garde. Mme de Calouas, en donnant des instructions à son élève, se mit en devoir de flamber des bocks, de dérouler et déchirer des pièces de coton, de vérifier les piles de compresses, les canules, les drains. Cette salle exhalait une odeur d’antiseptiques, balsamique et fade. Puis l’on revint à la grande salle, et Mme de Calouas désigna, par son nom et quelques indications sur son inlirmité, chaque malade, puis la pria de laver tel et tel, de faire le lit d’un malheureux qui, d’un seul bras, n’y pouvait arriver.

— Prenez garde à ce que vous leur dites, lui souffla-t-elle à l’oreille. Songez que de vos premiers mots dépendra votre situation parmi eux.

Odette remarqua que les malades la regardaient sans la quitter un seul instant des yeux. Elle fut assez heureuse, et par ses premiers mots prononcés et grâce à la douceur avec laquelle elle débarbouilla deux ou trois impotens. Alors, instantanément, elle vit les figures changer. Ces yeux pleins d’angoisse, et qui font trembler les doigts d’une nouvelle venue, s’apprivoisèrent rapidement. Elle avait la main adroite et douce : sa figure était très avenante. Il y eut un pauvre homme qu’elle dut nettoyer d’un bout à l’autre comme un enfant nouveau-né, besogne dure pour une débutante. Quand elle l’eut remis en état et bordé dans ses draps propres, et comme elle allait passer à un autre, le malheureux lui dit :

— Madame, attendez !

Et elle le vit se retourner dans son lit avec peine, déborder