sienne ; elle maudit cet universel complot des e’ve’nemens, des gens et des choses contre son douloureux et cher souvenir. Oui, tout se liguait pour l’arracher à une tombe, qui, seule, la reliait à la vie… Sans cette tombe, et sans l’espoir de l’orner un jour et d’y aller s’agenouiller au milieu de couronnes et de fleurs, qu’est-ce qui lui importait ici-bas ?… Que pouvait-elle contre les misères des autres, si pénibles et si innombrables qu’elles fussent ? D’ailleurs, ces femmes, et Mme de Calouas entre autres, qui semblaient nier leurs propres deuils, ne lui inspiraient-elles pas un certain effroi répulsif ?
Elle passa des heures d’insomnie à rouler de telles idées, à vouloir à tout prix se reprendre, s’appartenir en faisant abstraction du monde extérieur bouleversé. Et elle s’endormit en se jurant de n’appartenir jamais qu’à la mémoire de Jean.
Mais, le lendemain, dimanche, à l’issue de la messe, elle n’eut de cesse qu’elle n’eût rejoint Mme de Calouas. Et elle lui dit :
— Est-ce que je pourrais vous être utile en quelque chose, à l’hôpital ?
Mme de Calouas lui répondit tranquillement :
— Je vous attendais. Je n’ai rien fait pour vous amener avant l’heure, mais je suis heureuse de votre détermination… Comment ! si vous pouvez nous être utile ! Je commence par vous prendre sous ma coupe, pour vous initier : vous m’aiderez ; cela vous va-t-il ?
— Mais certainement… Je ne sais rien faire.
— Quand entrez-vous ?
— Quand vous voudrez.
— Allons ! je vous laisse votre dimanche… Ou plutôt, venez avec moi, que je vous fasse agréer par le médecin-chef et vous essaie une coiffe, une blouse provisoires. Et ce sera pour demain matin.
Odette vit le médecin-chef. C’était un major à quatre galons, célibataire, grisonnant, qui lui fit un accueil empressé, car elle était jeune femme et pouvait passer pour jolie. Elle essaya le costume d’infirmière que son amie lui prêtait en attendant qu’elle s’en fit faire un, et le lendemain, à huit heures, elle entra à l’hôpital, après avoir signé un engagement pour la durée de la guerre, un peu comme elle fût entrée en religion.
À cette heure-là, des femmes salariées épongeaient le sol
