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CHARLES PÉGUY


ET SES


PREMIERS « CAHIERS »







Ma première rencontre avec Charles Péguy m’a laissé un souvenir singulier. L’Affaire déroulait sa première phase. Les passions bouillonnaient. De l’entretien rapide et heurté autour d’une table de rédaction, je n’ai gardé dans la mémoire et dans l’oreille que l’accent agressif et colère de trois mots :

« Nous vous sommons, martelait Péguy, nous vous sommons… »

De quoi nous sommait-il, ce petit homme, tout jeune, l’air têtu, les yeux brillant derrière le lorgnon, orateur et conducteur d’une poignée d’étudians,une escouade à peine, descendus derrière lui de la Sorbonne à la rue Montmartre pour bousculer l’inertie de politiques selon eux trop prudents ? Sans doute de nous engager plus à fond dans la bataille où peu à peu allait être entraînée la France entière ?…

Quoi qu’il nous demandât, qu’il eût tort ou raison, sa conviction était si ardente, une si vibrante énergie le remuait, il sortait si évidemment du commun que vingt ans ont passé sans effacer l’impression première.

Elle s’est renouvelée aussi vive, aussi forte chaque fois que les circonstances m’ont remis en présence du normalien d’antan. Au fur et à mesure que j’ai davantage connu l’homme et mieux apprécié son œuvre, l’inspiration qui l’animait,