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écrivains au nombre de leurs œuvres traduites en anglais ! Tout Anglais ami des lettres est aujourd’hui en état de lire un texte français dans l’original, et se rend compte de l’avantage qu’il y a, pour lui, à se dispenser de l’intermédiaire, toujours fâcheux, d’une traduction.) Depuis la guerre, le très petit nombre de romans qui ont paru en France ont été lus et goûtés à Londres autant qu’à Paris. Pour m’en tenir à un seul exemple, la vogue du Gaspard, de M. René Benjamin, s’est rapidement propagée chez nous, et aucun livre anglais récent n’a servi plus volontiers de thème aux conversations des salons de Londres, en dépit d’une abondance de termes d’argot parisien qui faisait, de ce livre, une lecture particulièrement difficile pour les étrangers.


V

Voilà donc, en résumé, ce que nous pouvons prévoir dès maintenant de l’avenir des relations intellectuelles entre nos deux pays : vouloir aller plus loin dans nos prévisions serait nous exposer à trop de risques d’erreur, et d’autant plus nombreux que l’absence de tout précédent historique nous rend encore la tâche beaucoup plus difficile. Il y a bien eu, dans le passé, des alliances plus ou moins durables entre deux nations, des rapprochemens plus ou moins sincères et cordiaux en face d’un ennemi commun. Mais jamais, jusqu’ici, deux grandes Puissances n’ont marché ensemble vers un même objet d’un accord aussi profond et aussi spontané, sans être poussées aucunement par l’appât d’un profit matériel. L’ampleur de la lutte présente, le désintéressement des Alliés et la pureté de leurs intentions, la manière dont ils mêlent généreusement leurs efforts pour accomplir une œuvre de justice quasiment surhumaine, tout cela donne à l’Angleterre et à la France une grandeur morale qui ne saurait manquer d’affecter leurs relations réciproques de demain. Lorsque, donc, l’admirable effort des deux nations et de leurs alliées aura atteint son objet, et que de nouveau la paix régnera en Europe, très certainement les deux grandes nations occidentales se trouveront liées d’une union plus intime que jamais elles ne l’ont été auparavant. Nous verrons alors se produire une solidarité fondée à la fois sur la connaissance mutuelle, sur la sympathie, et sur l’impérissable souvenir de