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ont eu pour objet de faire connaître ces trois romanciers, — tentatives dont les premières et les plus importantes se sont produites justement dans cette Revue, — n’est parvenue à créer un véritable contact entre l’art d’un Meredith ou d’un Thomas Hardy et la masse, ou même l’élite, du public lecteur de romans. Je me rappelle ainsi que Henry James, qui, dans sa jeunesse, avait fait de fréquens séjours à Paris, et y avait été l’ami de Flaubert et de Zola, m’a bien souvent exprimé la gêne, — dépourvue, au reste, de tout ressentiment, — que lui causait l’indifférence absolue de ses compagnons parisiens à l’égard de ce qu’il produisait, ou essayait de produire, en littérature. Certes, James ne laissait point d’apprécier le privilège de pouvoir assister aux entretiens littéraires d’un Flaubert et d’un Maupassant : mais jamais un seul mot de l’un ou de l’autre de ses confrères et amis français n’a trahi, chez eux, la moindre curiosité de savoir ce que le conteur anglo-saxon écrivait en anglais, ou quelle attitude il adoptait, dans sa langue, à l’endroit des divers problèmes que soulevait alors la littérature d’imagination.

Aujourd’hui encore, comme je le disais, l’œuvre de ce subtil psychologue qu’a été Henry James, et celles aussi de ses deux grands émules, George Meredith et Thomas Hardy, attendent vainement que les éloges dont ils ont été comblés, ici et ailleurs, par les maîtres de la critique française réussissent à leur ouvrir l’accès familier du public. Et cependant il est sûr que, durant les dernières années, ce public français s’est remis à pratiquer très activement l’œuvre de quelques-uns de nos conteurs anglais. C’est avec un intérêt et une joie sincères que nous avons été témoins, notamment, de l’ardeur avec laquelle une foule de lecteurs français de toute catégorie se sont nourris des ingénieuses et divertissantes inventions de M. Wells, ou encore des vigoureux récits de M. Kipling. Mais il n’en reste pas moins, à mon sens, que la pénétration du roman anglais chez vous est très loin d’égaler celle du roman français en Angleterre. Il n’est presque pas de romancier français un peu notable aujourd’hui qui ne possède, chez nous, un groupe plus ou moins étendu de fidèles lecteurs : M. Paul Bourget comme M. André Gide, M. René Bazin tout de même que M. Marcel Prévost se sont acquis en Angleterre des partisans enthousiastes. (Et que l’on ne mesure pas la place tenue, chez nous, par ces