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ces auteurs d’étudier, — sans la moindre imitation, mais avec une appréciation intelligente et cordiale, — l’œuvre des écrivains français de leur temps. Je pourrais citer, également, telles tendances au mauvais goût et à l’ornementation excessive qui se sont trouvées heureusement arrêtées, dans notre littérature d’il y a vingt ans, par l’admiration de la simple et sereine clarté de Renan. Et, pour parler d’un passé plus récent, c’est chose indéniable que l’étude du style de certains critiques ou « essayistes » français a corrigé l’emphase ou le maniérisme alambiqué qui menaçaient fâcheusement d’envahir notre jeune école de critique littéraire.

Aussi bien est-il un peu de tradition chez nous, en Angleterre, d’estimer que les Français poussent à un degré extrême le souci de bien écrire. N’est-ce pas déjà saint Hilaire de Poitiers qui, au dire de ses biographes, plaçait résolument le mauvais style au nombre des péchés ? Croyance que nous nous attendons à retrouver, aujourd’hui encore, chez tout Français ; et comment ne profiterais-je pas de cette occasion pour rappeler cette opinion anglaise à tels écrivains français que je vois se complaire dans l’obscurité et la confusion ? Comment ne les avertirais-je pas que d’ici, des bords de la Tamise, nous les considérons avec une tristesse mêlée de méfiance ? Le fait est qu’il y a là un exemple typique de la réalité et de l’importance de ce que l’on serait tenté d’appeler des responsabilités internationales. Un auteur français qui néglige de bien écrire, ou qui s’avise d’introduire dans son style des attributs contraires au génie de sa langue, commet un véritable péché, à la face du monde, contre le bon renom séculaire de sa race. Le défunt Stéphane Mallarmé a été mon ami pendant bien des années, et personne ne peut avoir admiré plus que moi la beauté de son caractère, comme aussi l’exquise délicatesse de son âme de poète : mais une bonne partie de son œuvre en prose et en vers constitue, tout au plus, une expérience accidentelle, un phénomène littéraire isolé et sans lendemain. Ou plutôt, je suis prêt à supposer que, pour certains jeunes talens français, l’art de Mallarmé a été un stimulant précieux ; mais en Angleterre, sa célébrité et la part d’engouement artificiel qui s’y est ajoutée ont eu incontestablement des effets désastreux. Cet homme excellent et ce poète de race s’est trouvé devenir, bien inconsciemment, chez nous, l’ancêtre d’une famille bâtarde de poétaillons.