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comblées par un développement continu de l’action réciproque de la France et de l’Angleterre. Aussi bien ai-je l’idée que tout se trouvait prêt, longtemps même avant le début de la guerre, pour permettre l’entier avènement d’une action de ce genre. Jamais, au cours des longs siècles où elles n’ont cessé d’accumuler leurs précieuses réserves de force matérielle et morale, jamais nos deux nations ne s’étaient encore senties rapprochées par un lien aussi étroit de sympathie mutuelle. De telle sorte qu’il s’agit simplement pour nous, aujourd’hui, de rechercher par quels moyens leur collaboration spirituelle pourra s’exercer avec le plus de fruit, en tenant compte des qualités et ressources spéciales de chacun des deux partenaires. Car si la sympathie politique entre la France et la Grande-Bretagne est, dès maintenant, aussi complète que possible, il s’en faut que l’union intellectuelle entre les deux peuples ait atteint le même degré d’heureuse plénitude ; et aussi convient-il que nous tâchions à nous placer, vis-à-vis les uns des autres, dans une position qui permette à nos forces spirituelles respectives de continuer à se plaire et à se stimuler réciproquement, alors même que se sera calmée l’exaltation résultant, aujourd’hui, d’une lutte commune contre un commun adversaire.


II

Le choix d’une telle position impliquera, naturellement, un certain nombre de concessions d’une part et de l’autre. Mais à cela, aussi, les circonstances nous ont déjà utilement préparés. On se souvient que, vers la fin du XIXe siècle, l’idée d’une littérature universelle avait envahi les esprits même les plus conservateurs. On se plaisait à penser que, tôt ou tard, les progrès du « cosmopolitisme » effaceraient, chez les diverses nations, toute trace de leurs anciennes particularités distinctives, pour y substituer certains modes de pensée et d’expression qui, désormais, se retrouveraient à la fois chez les écrivains des quatre coins du monde. Le quart de siècle qui s’est écoulé depuis 1890 nous a guéris, entre autres illusions, de celle qui naguère nous faisait regarder comme possible et désirable une telle unité littéraire universelle. Comme l’avaient justement admis autrefois nos pères, nous avons reconnu, à notre tour, que la personnalité constituait l’attribut essentiel d’une littérature,