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déçus, l’Allemagne entière a décidément achevé de perdre toute modération de pensée, et tout équilibre d’esprit !

En tout cas, il sied d’affirmer dès l’abord que, quelles que doivent être les futures relations intellectuelles de la France et de l’Angleterre, ces relations ne pourront avoir rien de commun avec l’état d’esprit qui a fait naître le trop fameux manifeste des 93. Il nous est arrivé volontiers, au cours des années passées, de nous laisser éblouir par un système de formation mentale fondé sur un simple amas encyclopédique de faits. Plus d’une fois nous avons été tentés d’admettre la nouvelle doctrine allemande, suivant laquelle les faits posséderaient, en soi, une importance décisive, indépendamment de leur action sur le progrès général de notre pensée ou sur la conduite de notre vie morale. Mais il nous suffira désormais de nous rappeler les quatre-vingt-treize signataires du manifeste des intellectuels allemands pour comprendre qu’il est inutile de s’assimiler toute l’énorme provision de savoir dont se trouvent bourrés les Dictionnaires de la Conversation de Brockhaus ou de Meyer, si cela ne doit pas nous empêcher de demeurer des esclaves ! Bien mieux : dans notre étude de ce que pourront être, après la guerre, les rapports intellectuels capables de profiter aux deux nations amies, il nous faudra commencer, avant tout, par une assurance réciproque garantissant que ni l’Angleterre, ni la France ne s’aviseront plus désormais de se chercher une direction du côté de l’Allemagne. Le professeur von Wilamowitz. Mœllendorf, — qui jadis, avec son orgueil de hobereau, ne cachait pas son mépris pour les efforts de ses confrères en philologie, d’origine plus humble, — ne trouve pas, à présent, de paroles assez dures pour blâmer l’Institut de France, qui, dit-il, « devra subir le poids des conséquences résultant pour lui de son refus de reprendre, après la guerre, ses anciennes relations intellectuelles avec l’Allemagne. » En réalité, j’imagine que l’Institut de France est prêt à assumer bravement cette responsabilité ; et je puis attester que sa courageuse attitude continuera toujours de rencontrer un très cordial appui, auprès du monde savant de la Grande-Bretagne,

Il est vrai que cette suppression plus ou moins totale des influences qui nous venaient d’Allemagne ne pourra manquer de créer, d’abord, certaines lacunes dans notre existence intellectuelle : mais ce sont précisément ces lacunes qui devront être