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l’admiration du lieutenant X... Il y a de quoi, mais il ne m’en reste plus que 39.

Lundi 5 juin. — Je reposerais volontiers, mais les totos s’y opposent.

Le contre-ordre de relève fait que la compagnie n’aura pas encore d’eau aujourd’hui. Sitôt le contre-ordre reçu, j’ai envoyé une corvée d’eau. Elle n’est pas revenue. Elle a dû être prise par le jour. Elle sera restée à Tavannes ou au tunnel. Heureusement, il pleut. Les hommes vont étaler des toiles de tente et ils recueilleront l’eau. Une soif terrible dessèche la gorge. J’ai faim. Manger du singe avec du biscuit, va encore augmenter ma soif.

— Mon capitaine ! voilà du café !

Ch... est devant moi, tenant des deux mains une gamelle fumante. C’est bien du café ! Je n’en puis croire mes yeux.

— Mon capitaine, j’ai trouvé des tablettes de café ; alors j’ai dit : voilà mon affaire ! je vais faire du café. Si vous voulez accepter le premier quart ?

Ah ! les braves gens ! Je suis ému à ne savoir que dire.

— Mais, mon ami ! Et toi ? Et tes camarades ?

— Nous en avons d’autre.

— Mais, je ne puis, ici, accepter un quart ! Une gorgée, je veux bien !

— Non, non, mon capitaine ! C’est pour vous ! Tiens, V... passe donc des quarts ; la gamelle, j’en ai besoin.

Je me laisse faire. Je mets précieusement le quart de côté. Il me permettra de manger un biscuit.

Quels braves gens ! Quels braves gens !

17 heures. — L’ordre de relève est arrivé. Pourvu qu’il soit définitif !

Nous laisserons nos morts comme souvenir dans la tranchée. Leurs camarades les ont pieusement placés hors du passage. Je les reconnais. Voici C... et sa culotte de velours ; A... pauvre petit classe 16, et D... qui allonge sa main cireuse, cette main qui lançait si vaillamment la grenade ; et P... et G... et L... et tant d’autres ! Hélas ! que de lugubres sentinelles nous abandonnons ! Ils sont là, alignés sur le parados, roidis dans leur toile de tente ensanglantée, dégouttante de sang, — gardes solennels et farouches de ce coin de sol français qu’ils semblent, dans la mort, vouloir encore interdire à l’ennemi.

21 heures. — Relève... »