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sur la tranchée pour abattre un officier boche et a eu le crâne troué.

Dans le bout de tranchée qu’occupent des bombardiers de la 5e et 10 hommes du 124e, deux Boches sont entrés et ont été bousillés. Un prisonnier descend. Il a la face imberbe, les yeux hagards. Il lève ses mains sanglantes en criant : « Kamarade ! » Nos hommes l’emmènent en courant au poste de secours.

J’y vais. Lugubre, le poste de secours. Dans une salle sombre, mal éclairée d’une bougie, des corps gémissans sont étendus. Ils me reconnaissent et m’appellent. L’un d’eux me demande depuis longtemps ; il veut que je donne de ses nouvelles à son frère. Un autre me demande d’écrire à ses parens. Le pauvre caporal O... qui porte la mort sur la figure, me fait des adieux qui me tirent des larmes. Et tous souffrent atrocement, car, altérés par la fièvre, ils n’ont pas une goutte d’eau à boire.

……………………………….. 18 heures. — Le bombardement recommence.

………………………………..

Le brancardier L... haletant, vient s’appuyer quelques instans au mur de mon poste de commandement. Sa bonne figure d’honnête brave homme est creusée ; les yeux cerclés de bleu semblent sortir de la tête.

— Mon capitaine, je n’en puis plus. Nous ne restons plus que trois brancardiers : les autres sont tués ou blessés. Voilà trois jours que je n’ai pas mangé, que je n’ai pas bu une goutte d’eau.

On sent que ce corps frêle ne tient que par un miracle d’énergie. On parle toujours de héros, en voici un, et des plus authentiques.

L’effroyable canonnade dure toujours. Et pas de fusées vertes. D... R... et moi, nous attendons, sous un bas hangar en planches couvertes de quelques sacs à terre l’obus qui nous écrasera. Les mines sont graves. On sent que tous sont serrés par l’angoisse.

20 heures. — Nous sommes relevés !

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23 heures. — Courrier du colonel : « En raison des circonstances, le 101e ne peut être relevé. »

Quelle déconvenue pour nos pauvres troupiers ! Ils font