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A 20 heures 30, ces messieurs d’en face sortent de Sarajevo.

Les poilus en sont joyeux. A 15 mètres, ils leur font un tel barrage à la grenade, appuyé par les mitrailleuses d’un tel feu, que les Boches n’insistent pas. L’attaque est arrêtée net.

A 22 heures, un officier paraît dans la cagna. Ce sont des renforts, quelques élémens des 124e et 298e régimens qui viennent coopérer à la défense. La petite garnison de R1, très éprouvée, se trouve déjà très réduite.

Les obus se remettent à tomber. Impossible d’allumer une bougie dans le poste de commandement. Si peu de lumière que l’on voie du dehors, les marmites arrivent. Pour rédiger le rapport de vingt-quatre heures, je suis obligé de m’accroupir dans un coin, sous une couverture, et d’écrire par terre. Quant à reposer une seconde, il n’y faut pas songer. Le bombardement ne cesse pas une minute et, d’autre part, nous sommes si criblés de totos, que nous nous grattons comme si nous avions la gale.

Dimanche 4 juin. — « Ils ne sont pas vernis pour le R1, les Boches ! » me jette en passant un de mes poilus.

J’étais à la redoute à organiser la liaison avec la gauche.

— Eh bien ! hier vous avez eu chaud à cette heure-ci ? me dit X...

— Oui ! vous avez vu cette distribution de grenades.

Au même instant, pétarade significative : on se bat à la grenade. Je grimpe en vitesse l’étroite rampe qui me mène dans la tranchée et je gagne mon poste de combat. Il fait un temps magnifique. Les grenades claquent de toutes parts. Très beau le combat à la grenade : le bombardier, solidement campé derrière le parapet, lance sa grenade avec le beau geste du joueur de balle.

S... accroupi près des caisses, coupe tranquillement les ficelles des cuillers et nous passe les grenades avec beaucoup de simplicité ; une fumée noire, épaisse, s’élève dans le ciel, en avant de la tranchée.

A 4 heures, tout est fini. Encore quelques coups de fusil. Les derniers sanglots après la grosse émotion.

Il fait un soleil radieux qui rend plus poignante encore la désolation de ce ravin. Des blessés descendent couverts de sang. On ramène des tués, ce pauvre D... entre autres, qui s’est dressé