Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 35.djvu/508

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les mitrailleuses crépitent. C’est dans la nuit un fracas confus que répète l’écho de la vallée. Les fusées rouges partent sans cesse des lignes allemandes. Sur le parapet, l’œil au guet, le fusil au poing, nous sommes les témoins, muets d’horreur, d’un combat mystérieux dont nous entendons le fracas sans voir les acteurs. Des fusées vertes jaillissent de nos tranchées : « Allongez le tir, » tandis qu’une mitrailleuse boche crépite à coups secs et précipités. La vallée s’emplit d’une vapeur opaque, faite de poussière et de fumée, et à travers laquelle on ne distingue plus rien.

Sur le plateau d’Hardaumont, le petit jour commence à poindre. Mais la lutte ne s’apaise point. Elle fait rage, de plus en plus violente, dans ce brouillard que rayent les fusées et d’où jaillissent sans cesse les flammes rouges des éclatemens. De tous côtés les balles sifflent autour de nous. Les petits de la classe 16, dont c’est le baptême du feu, se pelotonnent contre le parapet. Officiers et sous-officiers, le fusil à la main, nous les exhortons. Bientôt chacun fait son carton sur les Boches que l’on voit, — maintenant le jour est levé, — refluer le long des pentes de Vaux.

Lundi 22 mai. — Un culot de 130 est entré dans mon trou, a brisé la jambe de mon ordonnance et s’est aplati à côté de ma tête.

11 heures. — Contre-attaque allemande sur la tranchée que le 124e a prise ce matin. Des détachemens boches traversent les pentes. Nous les tirons ; on les voit s’aplatir, puis reprendre le pas de course. En voici un qui reste allongé, il a dû être touché. Ils sont arrivés à la tranchée. On se bat à la grenade. Un feu effroyable foudroie Fumin par où doivent arriver en renfort d’autres unités du 124e.

A notre gauche, Douaumont est repris depuis ce matin.

Mercredi 24 mai (1 heure du matin). — Cette fois, c’est bien l’enfer. Il fait une nuit d’encre. Le vallon semble un gouffre géant entouré de collines fantastiques, masses sombres de ténèbres aux contours indécis. Au fond du gouffre, les flaques d’eau du marais miroitent mystérieusement dans le noir. Des vapeurs sombres montent sans cesse avec un fracas effroyable ; des lueurs rouges et blanches s’entre-croisent, faisant brusquement jaillir de l’ombre des montagnes de ténèbres qui paraissent un instant cerclées de lumière et rentrent aussitôt dans la nuit.