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lumière pourprée du couchant. Les croupes apparaissent dénudées, sans un brin d’herbe. Le bois Fumin est réduit à quelques piquets qui hérissent sa croupe, comme ce bois de « la main de Massiges » que les troupiers avaient surnommé « la Chenille. » Le sol a été tellement remué par les obus que la terre est devenue meuble comme du sable et que les trous d’obus y font maintenant des effets de dune.

Tout à coup, la canonnade qui s’était un peu calmée se déchaîne. Nous comptons en une minute 8 obus boches sifflant sur nos têtes. Sur la croupe de Vaux, pourprée par le couchant, les nuages noirs de nos 155 s’élèvent de tous côtés. C’est un concert infernal.

Le poste de commandement est un trou d’obus recouvert de quelques poutres et d’un peu de terre. Sous le sol, sont des cadavres, peut-être ceux que l’obus a enterrés. On couche là-dessus, — la tête appuyée sur le sac. Les hommes sont empilés dans des niches qui ne les protégeraient certes pas de la pluie.

Attendons !

Vendredi 19. — La canonnade ne cesse ni jour, ni nuit. On est assourdi, comme hébété.

Aujourd’hui, depuis dix-huit heures, les pentes de Vaux disparaissent sous nos obus. On les voit d’ici tomber juste sur les lignes blanches que font dans la terre les tranchées et les boyaux boches.

La nuit, sous les étoiles, de nos premières lignes au fond du ravin montent des fusées.vertes : « Allongez le tir. Allongez le tir ! » crient nos camarades.

Et d’autres appels s’élèvent de tous côtés.

Fusées rouges sur le plateau d’Hardaumont. « Nous sommes attaqués ! Tirez ! tirez ! camarades ! Barrez la route devant nos tranchées ! »

Fusées rouges du fort de Vaux ! Fusées rouges, là-bas, au loin, derrière Fumin. Que d’appels désespérés sur cette terre sombre !

Cependant que des lignes boches partent d’autres fusées, des fusées éclairantes, celles-là, qui jaillissent des ténèbres à tout instant pour veiller à ce qu’aucune pelletée de terre ne soit remuée par les victimes désignées à l’écrasement des obus.

Le sifflement des projectiles qui se croisent en tous sens au-dessus de nos têtes est tel qu’on se croirait au bord de la mer.