Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 35.djvu/505

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

(En deux lignes voilà un portrait.) II nous reçoit, continue-t-il, de façon charmante. La conversation s’engage avec notre chef de bataillon.

— Nous allons à la digue. Est-ce très marmité ?

— Mon Dieu ! répond avec beaucoup de flegme le commandant X... un de mes officiers a compté dans son secteur une moyenne de quatre obus par minute, pendant toute une journée.

— Et le chef de bataillon ? Son poste de commandement ?

— C’est assez solide, mais on n’en peut pas sortir. Il donne sur un ravin perpétuellement battu.

— Et d’où tombent ces obus ?

— Du Nord, de l’Ouest, et de l’Est. Il n’y a que du Sud, que l’on n’en reçoive pas, sauf quand nos 155 tirent trop court... (un silence)... Et puis, vous savez, vous aurez des totos.

— Des totos ?

— Oui ! quoi ! des poux ! Tout le monde en a.

Nous sortons de la cagna et nous nous engageons dans le boyau qui mène au ravin des Fontaines. La désolation du paysage devient de plus en plus poignante. Les arbres, déjà, ne sont plus que des piquets. Pour comble, à certains endroits, — comme il a plu, — le boyau se change en canal : 40 à 50 centimètres d’eau. »

Et les obus commencent à pleuvoir. Sauf du Sud, en effet, il en vient de partout.

Le capitaine Delvert débarque enfin à son poste. Chaque jour, il dresse son bilan, comme l’officier de quart, sur un croiseur, fait le point. Voici ses journées du 18 au 24 mai. C’est le tableau de la vie qu’on mène dans la région de Vaux :


Journal du capitaine Delvert (18-24 mai).

« Jeudi 18 mai. — Ma tranchée de la voie ferrée domine le ravin de Vaux, lequel est troué comme une écumoire d’entonnoirs d’obus remplis d’eau.

En avant, cette ruine à 50 ou 80 mètres du village, c’est la « maison Ouest de Vaux » des communiqués. Le village n’est plus qu’un monceau de murs croulans sur lesquels s’écrasent nos 155. En face du poste de commandement est le fort de Vaux. Au Nord et à l’Est les tranchées boches l’entourent.

Rien ne saurait rendre la désolation de ce paysage. A cette heure (19 h.) il est enveloppé de la douce et chaude