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s’est moqué du monde. En hâte, le 10 mars, il lâche un troisième corbeau, avec ce billet sous son aile :

« Les Français ont fait de violentes contre-attaques sur notre nouveau front à l’Est et au Sud du village, ainsi que près du fort de Vaux. Au cours de ces actions, l’ennemi a réussi à reprendre pied dans le fort cuirassé lui-même. Partout ailleurs, les assaillans ont été repoussés avec de fortes pertes. »

Ainsi le tour est-il joué.

Mais le mensonge exige une continuité d’efforts dont les imposteurs les plus avisés sont rarement capables. Qui dit la vérité est le seul qui ne se coupe jamais. Trois mois plus tard, — mesurez ces trois mois plus tard : exactement quatre-vingt-huit jours, soit tout l’intervalle qui sépare de l’annonce du 9 mars la chute réelle du fort, le 7 juin au petit matin, quatre-vingt-huit jours de froid ou de chaud, de fatigue, de soif et de manque de sommeil, de bombardemens et d’assauts, — trois mois plus tard, le fort de Vaux est réellement pris. Le haut commandement allemand sait ce qu’il lui en coûte. Il annonce fièrement la nouvelle. Or, il oublie son radiogramme du 9 mars. Il dit : « Le fort cuirassé de Vaux est occupé par nous... » Il ne dit pas, il n’ose pas dire : « Le fort cuirassé de Vaux est réoccupé par nous... »


III. — LE CHEMIN (11 mars)

Voici Verdun, pareil à une Florence du Nord au milieu de son cirque de collines. Après des jours de froid et de neige, si cruels à nos hommes dans les tranchées bouleversées et réduites à n’être plus que la jonction de trous d’obus, une douceur printanière est venue brusquement détendre les membres engourdis et la terre gelée. La surprise est si forte qu’elle fait courir sur les lèvres déshabituées ce nom charmant et bien inattendu de Florence. C’est l’heure du couchant : il baigne d’or et de mauve la ligne sinueuse des coteaux, il anime les eaux mornes de la Meuse débordée.

Au pied de la morose cathédrale, si différente de la gracieuse Sainte-Marie-des-Fleurs aux marbres colorés, on traverse un couloir sous des murs à demi démolis et l’on parvient à une terrasse qui donne sur toute la douleur de Verdun : maisons éventrées montrant leurs étapes à nu et perdant leurs