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stratégique et l’ennemi, méfiant, qui ne s’y est aventuré qu’avec crainte, dut s’arrêter devant Manheulles le 27 février et ne put entrer dans Fresnes que le 7 mars. Mais comme cela fait mieux dans un communiqué de représenter les braves Brandebourgeois escaladant sous la mitraille les glacis d’un fort, appliquant les échelles sur la contrescarpe, montant à l’assaut, franchissant les fossés, heureux de vaincre ou de mourir sous les yeux bienveillans de Sa Majesté l’Empereur et Roi, sans doute présent à la fête, une couronne sur la tête et un glaive d’or à la main !

Le second corbeau est plus audacieux. Il est lâché le 9 mars et il annonce au monde attentif la prise du fort de Vaux. C’est le pendant de Douaumont : un diptyque offert aux nations.

« À l’Est du fleuve (la Meuse), pour raccourcir les liaisons au Sud de Douaumont avec nos lignes de la Woëvre, le village, le fort cuirassé de Vaux, ainsi que les nombreuses fortifications voisines de l’adversaire, ont été, après une forte préparation d’artillerie, enlevés dans une brillante attaque de nuit des régimens de réserve de Posen, no 6 et 19, sous la direction du général de l’infanterie von Guretsky-Cornitz, commandant la 9e division de réserve… »

Comment le monde attentif oserait-il mettre en doute la véracité d’un radiogramme aussi étincelant et précis ? On lui donne le jour et l’heure, les numéros des régimens, le nom et le titre du général qui a mené l’action. Ces détails ne s’inventent pas… Le fort de Vaux est-il pris ? Comment ne le serait-il pas, puisque c’est le général Guretsky-Cornitz, commandant les régimens 6 et 19 de Posen, qui l’a pris ? Évidemment : il y a d’une part le général avec ses deux régimens, et de l’autre, il y a le fort de Vaux. Dès lors, comment le fort de Vaux ne logerait-il pas ce général, et ses deux régimens avec lui ? « Cette malle est-elle à nous ? » demandait Robert-Macaire au fidèle Bertrand. Et il concluait aussitôt : « Elle doit être à nous. » « Le fort est-il à nous ? se demande le Boche. — Il doit être à nous. » Et aussitôt il l’annonce.

Seulement, le fort n’est pas à lui. Il n’est pas à lui le 8 mars, et pas davantage le 9, et pas davantage le 10. Le général von Guretsky-Cornitz, commandant la 9e division de réserve, en est pour sa forte préparation d’artillerie, et pour sa brillante attaque de nuit. Le haut commandement allemand ne peut pourtant pas confesser au monde que le général von Guretsky-Cornitz