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bien claire. En droit, la France, la Grande-Bretagne et la Russie agissent conformément aux traités comme puissances protectrices de la Grèce. En fait, elles sont à Salonique parce qu’elles y ont été appelées par ce gouvernement et par ce roi qu’on les accuse d’opprimer. Si des troupes serbes, italiennes, portugaises peut-être, y sont avec elles, c’est un peu par la faute de la Grèce qui n’a pas rempli tous ses engagemens. Le front de Salonique est devenu un des fronts de la guerre européenne ; mais, par cela seul, il est évident qu’aucune action n’est dirigée ni aucune intention tournée contre la Grèce.

Nous ne voulons pas la traîner, malgré elle, à une guerre dont elle voit l’horreur et ne sent pas la nécessité. N’ayant rien demandé à de plus grands qu’elle, qui ont fait d’eux-mêmes ce qu’ils ont jugé de leur devoir ou de leur intérêt de faire, nous n’avons rien à lui demander. Et cependant si : il nous faut la sécurité pour notre armée de Salonique ; il nous la faut absolue, et il nous la faut à tout prix. Nous ne pouvons pas accepter même l’hypothèse d’être pris à revers, quand nous marcherons, comme les Roumains par les Bulgares, ni d’être frappés dans le dos, ne fût-ce qu’avec un journal, d’un coup de plume empoisonnée. Par dessus la sécurité, il nous faut à tout prix le respect. En débarquant des marins, et au besoin en « embarquant » les coupables et les responsables, il faut que nous ne soyons ni injuriés, ni bafoués, ni dupés, ni bercés, ni bernés. Lorsqu’on a su que la Roumanie déclarait la guerre à (‘Autriche, on a beaucoup loué l’idée de l’expédition de Salonique. On ne la louera jamais trop. On ne la louera jamais plus que nous, ici, qui l’avons soutenue parmi les premiers, bien qu’à la vérité nous lui souhaitions un autre développement. Mais une idée, en politique et à la guerre, ne vaut que par son exécution. Salonique, camp retranché où l’on s’enferme, conserve dans les Balkans toute sa valeur diplomatique. Salonique, base d’où l’on part, acquiert toute sa valeur militaire. La diplomatie a fini, mais la guerre n’est pas finie. L’armée de Salonique est un instrument. L’idée de Salonique était bonne ; elle deviendra excellente si l’idée fait rendre à l’instrument tout ce qu’il doit rendre.


CHARLES BENOIST.


Le Directeur-Gérant,

RENÉ DOUMIC