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flatter, en les symbolisant et à satisfaire, en les concrétant, les aspirations nationales, revêt, en tant que partie de la guerre européenne, en tant que guerre générale, toute l’importance d’une guerre « de calcul. » « Pour garder la Transylvanie qu’on veut nous voler, rugit M. Rakowsky, les Hongrois deviendront des tigres. » Ils n’auront pas grand’chose à faire, sinon pour la garder, du moins pour le devenir. Leurs alliés les aideront de tout ce qui leur reste de pouvoir, sentant bien qu’il y va en Transylvanie de beaucoup plus que la Transylvanie, ou que la Hongrie même, ou même que l’Autriche-Hongrie, qu’il n’y va de rien de moins que la victoire totale ou la défaite totale.

En apprenant la déclaration de guerre, qui mettait sur les bras colossaux, mais fatigués, de l’Empire, un dixième ennemi, l’Allemagne n’est revenue de la stupéfaction que par la fureur. Après l’avoir redoutée en 1915, et peut-être à deux ou trois reprises en 1916, lorsque M. Bratiano donnait un coup de balancier pour se retourner de notre côté, elle n’y croyait plus. Elle recevait de Sofia, et de Bucarest même, tant de renseignemens qui la rassuraient ; elle avait là-bas tant d’agens, tant de missionnaires, tant de jeunes gens riches mis en sursis à la seule condition d’y prodiguer l’argent en des fêtes diurnes et nocturnes ; elle avait tant de capitaux en Roumanie ; elle était un si bon client et un si bon marchand ; et, par surcroit, elle y était un guerrier si admiré, un fournisseur d’armes si indispensable ! Tout le monde sait que, dans un péril subit, le premier mouvement, même de chrétiens médiocres, même d’incrédules, est souvent de se signer ; ainsi, devant ce supplément de danger, le premier geste de l’Allemagne a été, nos journaux l’ont finement et justement noté, un geste fétichiste. Le maréchal de Falkenhayn, chef d’état-major général, généralissime, s’est vu brusquement congédié, au profit de l’idole à la statue de bois ferré, le héros allemand Hindenburg, héros comme on ne l’est pas seulement dans les camps, mais dans le Walhalla. Hindenburg, c’est la moderne incarnation de l’immortel héros national, c’est Arminius. Tout au moins, c’est Blücher, comme son adjoint, Ludendorff, est Gneisenau. Le pédantisme allemand verse à plaisir dans la comparaison et l’hyperbole. Pour Blücher, qui ne fut jamais qu’un vieux reitre, ce n’est pas mal jugé. Germains et Germanophiles, le Suédois Sven Hedin en un rang distingué, vantent en strophes alternées la taille du maréchal, sa ‘grandeur, sa grosseur, l’épaisseur de ses sourcils et de ses moustaches, tout ce que son corps a de gigantesque ; et nous en tremblerions si nous ne songions que, le