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Mais, pour satisfaisante que nous soit cette « confession » du réserviste prussien, je crois bien que je lui préfère encore, comme document « révélateur, » un extrait du plus grand journal de Munich, les Neueste Nachrichten, où l’auteur ne se lasse pas de vanter fièrement à ses compatriotes l’ « admirable ingéniosité » d’un certain fusilier bavarois :


Ce fusilier, qui avait entassé des cadavres de soldats français pour s’en faire un abri, a constaté, tout d’un coup, que le mur ainsi dressé se trouvait être trop haut pour qu’il pût tirer par-dessus. Aussitôt le voilà qui appelle un prisonnier français, et qui l’oblige à se coucher devant lui, pour lui servir de « marchepied vivant. » Le Français proteste, en alléguant la grave blessure dont il est atteint. — Hé ! que m’importe ta blessure ? répond notre avisé compatriote. C’est nous qui sommes tes maîtres, à présent, et je te préviens que, si tu ne te hâtes pas de t’étendre devant moi pour que je monte sur toi, je t’écraserai les boyaux, par-dessus le marché ! »


Je le demande en vérité : aujourd’hui encore, et pour blasés que nous devrions être sur des « révélations » comme celle-là, ne sommes-nous pas forcés d’éprouver une impression de profonde stupeur à constater que c’est une race soi-disant « cultivée » qui se plaît au spectacle d’un tel trait de barbarie imbécile et féroce ? Et que l’on ne se figure pas que l’admiration de ce genre de traits soit simplement le fait d’une partie, plus ou moins nombreuse, du public allemand ! Il n’y a pas en Allemagne un seul journal qui n’ait offert à ses lecteurs l’équivalent de cette histoire de l’ « ingénieux » fusilier bavarois. A tous les degrés et dans toutes les classes de la société d’outre-Rhin, les forfaits les plus monstrueux de la nouvelle stratégie allemande ont été accueillis d’une approbation unanime, comme si une terrible « épidémie » de bestialité s’était abattue, soudain, sur l’ancienne patrie de Mozart, d’Overbeck, et de Novalis ! Et que l’on ne vienne pas, non plus, invoquer en faveur des Allemands d’aujourd’hui le souvenir de telles précieuses qualités de droiture ou d’obligeance amicale, rencontrées dans leur pays au cours des années précédentes ! Plus puissante infiniment que ces vertus individuelles, l’invincible « docilité » allemande a vite fait de les balayer, dès le premier signal, pour. leur substituer l’état d’âme que l’on sait. J’ai gardé dans l’oreille, pour ma part, l’écho du singulier accent de tristesse avec lequel un jeune hôtelier de Nuremberg, pendant l’été de 1913, me parlait de la possibilité d’une guerre prochaine entre l’Allemagne et la France. « Hélas ! — me semblait-il lire dans la voix de l’hôtelier, — avec tous les motifs que j’ai d’aimer et d’admirer les Français, combien il