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pour son propre compte, cet esprit est devenu irrémédiablement hors d’état de pénétrer dans l’âme d’autrui. Et de là tant d’erreurs, réduisant à rien tout le fruit de longues années de patience et de ruse ! « Hélas ! s’écriait naguère un journal berlinois, combien de nos calculs nous ont pitoyablement déçus ! Nous avions admis, en toute certitude, que l’Inde anglaise se soulèverait dès le premier coup de feu tiré en Europe ; et, en réalité, des milliers d’Indiens sont venus combattre contre nous avec les Anglais. Nous avions escompté que tout l’Empire britannique s’écroulerait ; et voici que les colonies anglaises semblent plus étroitement reliées que jamais à la mère patrie ! Nous avions prévu une révolte triomphante dans le Sud de l’Afrique ; et l’essai de révolte a simplement abouti à un honteux échec. L’Irlande, sur laquelle nous comptions pour nous seconder, c’est elle qui a envoyé contre nous les meilleurs soldats de l’armée britannique. Nous tenions pour assuré que l’Angleterre, dégénérée, n’aurait ni le courage ni les moyens de se dresser contre nous ; et nous voici amenés à découvrir en elle notre principal ennemi ! Pareillement, avec toute l’abondance de nos informations, nous nous sommes trompés de fond en comble au sujet de la France et de la Russie. Nous avions pensé que la France était pervertie et divisée, tandis que nous rencontrons en elle un adversaire formidable ! Nous avions cru que le peuple russe était trop irrité contre son gouvernement pour consentir à lutter sous ses ordres ; et nous avions fondé tous nos plans sur l’espérance d’un effondrement très rapide de la Russie : mais voilà que, au lieu de ce que nous attendions, elle a mobilisé ses millions d’hommes à la fois vite et bien, et voilà que tout son peuple se montre débordant d’enthousiasme, et procède au combat avec une puissance écrasante ! » ‘


Le livre de M. Edmond Holmes nous rapporte encore d’autres aveux allemands, qui ne méritent pas moins d’être retenus. Voici, par exemple, ce qu’écrivait dans son journal intime un réserviste prussien qui, dans la vie civile, avait pour métier d’enseigner le latin aux enfans d’un collège :


Le soldat allemand est totalement dépourvu de toute personnalité. Il n’est rien qu’une machine, et c’est d’ailleurs ce que l’on exige qu’il soit : dès qu’on l’abandonne à soi-même, il devient inerte et stupide comme une borne. Il n’a qu’une idée, qui consiste à vouloir manger et dormir. Avec cela, une brutalité bestiale qui ne peut être contenue que par la discipline la plus implacable.