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le plus obéissant qui se puisse rencontrer à la surface du globe ! » Issus d’ancêtres qui dépassaient le reste des hommes en incapacité foncière d’obéir, ils ont laissé s’opérer en eux la révolution, « à coup sûr, la plus radicale qui jamais se soit produite dans l’âme d’une race, — voire dans celle d’un individu ; et cela, uniquement parce que leur nation est longtemps demeurée partagée en « une multitude de petits États ! » Comment ne pas soupçonner une telle hypothèse d’être à la fois trop « simpliste » et trop « théorique » pour répondre vraiment à la réalité ? Et d’ailleurs comment ne pas être frappé de l’extrême fragilité du point de départ historique de l’explication ? Cette prétendue « passion de liberté » que les historiens assignaient aux tribus de la Germanie, est-ce que maints observateurs plus récens ne se sont pas obstinés à vouloir la découvrir, de nos jours encore, dans toute âme allemande ? N’est-ce pas Goethe lui-même qui nous a dit que « le trait le plus caractéristique de sa race était le besoin naturel qu’éprouvait tout Allemand de marcher dans une voie différente de celle où marchait son voisin ? » Que l’on imagine un historien du XXVe siècle mettant la main sur ce passage de Goethe, et en déduisant que, jusqu’aux environs de 1830, les Allemands n’ont pas eu leurs pareils au monde pour « se distinguer l’un de l’autre aussi bien dans leurs sentimens que dans leurs façons d’agir ? » La vérité est que les Germains du temps de Tacite peuvent fort bien s’être signalés par leur « désobéissance » à la loi romaine, et n’avoir pourtant montré là qu’un effet de leur « docilité » à quelque « mot d’ordre » leur venant d’ailleurs, et qui leur aura défendu d’obéir. Mais, en tout cas, il n’est guère probable qu’un changement aussi complet que celui-là se soit effectué, dans le cœur d’un peuple, sous la seule action des hasards politiques. Ou bien la « docilité » actuelle des Allemands a été amenée chez eux par des causes autrement profondes et efficaces que celles dont nous parle M. Edmond Holmes, ou bien encore cette « docilité » a toujours constitué l’un des élémens de leur caractère, — ainsi que semblerait l’indiquer sa présence jusque dans les plus vieux contes populaires d’outre-Rhin, où c’est chose étonnante combien de « platitude » se mêle à des trésors inépuisables de brutalité et de fourberie, pour former un type idéal déjà tout semblable au « Boche » d’aujourd’hui !


Mais, au contraire, combien je regrette de ne pouvoir pas reproduire tout au long les pages où M. Holmes examine les principaux aspects « actuels » de la « docilité » allemande, et toujours en s’attachant