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Elle dégagea en outre la gauche de la 4e armée. Son unique inconvénient est qu’elle nous dégarnissait pendant quelques heures sur Mondement, où la division marocaine demeurait livrée à ses propres forces. Mais Foch, qui pense à tout, avait prévenu Humbert que, s’il lui enlevait les chasseurs, il lui rendait le 77e. Et, d’autre part, si nous en croyons l’officier d’état-major qui signe Asker, le repli de la 42e division nous valut « la meilleure des aubaines, » car, tandis que l’infanterie de la division exécutait ce mouvement de « roquage, » son artillerie devint disponible pendant deux heures et put, en passant par Broyés, concentrer son tir sur le château.

Formée en demi-cercle au Nord du village, elle ouvre sur Mondement, les bois et les pentes, « un feu infernal » et d’une extraordinaire précision. Il est vrai qu’il est dirigé par le colonel Boichut, celui qu’on appelle u le virtuose du 75, le maître du tonnerre. » Au dire des témoins, c’est « un des tirs les plus impressionnans » qu’on ait vus. Non seulement, par le barrage qu’il établit devant Mondement, il empêche l’ennemi de progresser, mais il donne le temps au 77e d’arriver à Broyés et, sans désemparer, sans même faire le café, d’entrer en ligne et de se déployer vers le château avec les zouaves et les tirailleurs[1]. L’attaque, dirigée sur le côté Sud de Mondement, échoua comme la première, mais nos hommes avaient réussi à prendre pied dans les bois ; une batterie du 49e, la 6e, capitaine Naud, s’était approchée jusqu’à 350 mètres. Le soir tombait. Un nouvel assaut fut décidé et des mesures prises pour aborder le quadrilatère par trois de ses côtés.

  1. Un autre effet du tir semble avoir été l’évacuation immédiate du château par son état-major. La croyance générale du pays, appuyée sur les différens récits publiés à lépoque et postérieurement, est que deux généraux allemands furent tués au cours du bombardement (le curé de Reuves dit seul : dans un corps à corps) et le prince Eitel blessé. Je n’ai pu savoir sur quoi s’appuyaient ces on-dit. Aucun cadavre de général allemand ne fut trouvé à Mondement après la prise du château. Mais il est vrai que les Allemands, quand ils ne pouvaient pas brûler leurs morts au cours de la bataille, les emportaient, liés par quatre, dans des camions automobiles ou même de simples chariots, vers les fours crématoires de la Belgique. Pendant toute la nuit du 9, au témoignage de l’instituteur Roland, « une longue suite de ces chariots descendit au pas vers les marais chercher très probablement les blessés. » Ils repassèrent à la même allure et M. Roland, qui est Lorrain, reconnaissait, à leur « cliquetis, » les chariots de ses compatriotes. Mais une auto « munie de deux puissans réflecteurs, » qui remontait à toute vitesse la route vers Congy, venant de Mondement, arrêta plus particulièrement son attention. À son avis, elle ne pouvait emporter qu’ « un grand personnage, » peut-être ce prince Eitel qu’on disait blessé et qui aurait été dirigé sur l’arrière jusqu’à la nuit.