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la France en péril lui semblait mettre en péril l’humanité tout entière.

La guerre, il la détestait : il avait vu, enfant, l’invasion et la défaite. Mais il pensait qu’il y a pour une nation un malheur plus grand encore : l’abandon de soi-même, le renoncement à ses destinées. Ce noble amour de la France et de l’humanité lui inspirait ces paroles enflammées, qui ont trouvé dans la France de nos jours un si puissant écho : « Savez-vous supporter, non pas l’ardeur du combat, mais la privation de vos biens, de vos jouissances accoutumées ? Surtout les partis, les factions feront-ils trêve un moment, et ce vieux mot de patrie, que personne n’ose plus prononcer, parlera-t-il au cœur des hommes ? Dans ce cas, après avoir invoqué votre droit, acceptez la guerre ! Sauvez la France ! Sauvez r avenir ! Sauvez tout ce qui périt [1] ! »

Ce fut la question du Rhin qui mit aux prises, l’année suivante, en 1841, Quinet et Lamartine. Déjà, en 1836, dans des vers trop peu connus [2], Quinet avait évoqué cette frontière du Rhin, qui longtemps avait été le rêve de la France et dont elle semblait maintenant détourner ses regards :


Oui, ces monts sont à nous, notre ombre les domine ;
Oui, ces fleurs sont à nous, nous en gardons l’épine ;
Oui, ces champs sont à nous, nos morts y sont couchés,
Peuple, rappelle-toi, debout sur ce rivage.
Ainsi qu’un vendangeur qui revient de l’ouvrage,
Quand tu lavais ton front parmi ces joncs penchés...

Mais si tu l’oubliais, le fleuve de ta gloire,
Peuple au long avenir, à la courte mémoire,
Au lieu des chalumeaux, une trompe d’airain,
La nuit, le jour, semblable à celle de l’archange.
Jusqu’à ta sourde oreille où tout s’efface et change,
Immense, porterait l’immense écho du Rhin !


Or, en 1841, un poète allemand médiocre, Nicolas Becker, publiait et dédiait à Lamartine un recueil de poésies, où il avait inséré un chant national, qui avait eu, l’hiver précédent, « un immense retentissement sur les bords du Rhin [3]. » C’était la fameuse chanson du Rhin allemand. « Ils ne l’auront pas, le

  1. « 1815-1840. »
  2. Cf. Allemagne et Italie, édition de 1839. La pièce est datée d’octobre 1836.
  3. Note de la rédaction de la Revue à la Marseillaise de la Paix, 1er juin 1841.