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caractère. « On a cherché quelle grande pensée on portait en soi pour renouveler le monde : on a trouvé la teutomanie. » Entendez : la germanisation à outrance de l’univers. L’Allemagne, qui veut hériter de la France, est impuissante à recueillir cet héritage : elle redoute les idées de liberté, qui forment son plus clair trésor. Repliée sur elle-même, absorbée dans la contemplation de sa propre supériorité, elle est incapable de montrer « quelque noble initiative » désintéressée pour le reste de l’Europe. Son patriotisme rétréci, égoïste et farouche, ne pouvant s’élever jusqu’à l’idée d’humanité, a décidé de ramener l’humanité à lui-même par tous les moyens, science, commerce, industrie, sans en exclure la Force. Une telle idée est, d’ailleurs, conforme au mysticisme de la race élue de Dieu et à la croyance de tout bon Allemand ; elle se résume en cette formule : « Dieu nous a appelés à civiliser le monde. »

Civiliser, soit ! Mais, en tout cas, pas par l’amour. Le caractère dominant de la teutomanie, c’était la haine : haine « corrosive » de tout ce qui n’était pas allemand, et surtout de la France. L’inintelligence à l’égard de ce pays allait en Allemagne jusqu’aux dernières limites. Y avait-il un seul de ces illustres penseurs, tant vantés, qui eût écrit sur notre XVIIe siècle une page juste et mesurée ? Le père de la philosophie moderne, le grand Descartes, n’avait pas été jugé digne de figurer en effigie avec les autres philosophes sur les murs de l’Université de Bonn. Mais, en revanche, l’Allemagne n’avait pas encore pardonné à la France les traités de Westphalie, la dévastation du Palatinat sous Louis XIV, la cession des provinces d’Alsace et de Lorraine ! Mieux encore : un homme « distingué » d’outre-Rhin et « plein de modération, » à qui Edgar Quinet demandait ce que voulait l’Allemagne, lui répondait avec candeur : « Revenir au traité de Verdun entre les fils de Louis le Débonnaire. » Si cet homme « modéré » s’exprimait ainsi, qu’était-ce des autres ? L’histoire n’est pas pour ce peuple, qui « rumine longtemps ses souvenirs, » l’étude impartiale de la vérité ; elle est l’arsenal où l’Allemand fourbit, sans se lasser, ses rancunes et ses haines.

Le plus curieux exemple qu’en cite Quinet est ce Manuel de l’histoire universelle du « très célèbre docteur Léo, » ancêtre de nos actuels pangermanistes. Dans un parallèle entre les deux races, celtique et germanique, l’auteur montrait l’une