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Cette pensée n’était pas nouvelle. Pour la première fois, à la fin du XVIIIe siècle, l’Allemagne avait pris conscience d’elle-même dans le génie de ses poètes et de ses philosophes. Mais après le génie des lettres, le second pouvoir qui avait achevé de rallier l’Allemagne, c’était Napoléon ; « le lien que la poésie et la philosophie avaient préparé au fond des âmes, « il l’avait cimenté à sa manière par le sang et l’action, au grand jour de l’histoire. » Sa main puissante avait modelé le chaos germanique ; elle avait condensé cette poussière d’électorats et de principautés ecclésiastiques, créé la Confédération du Rhin, supprimé cette lourde et antique machine, aux ressorts grinçans et rouillés, du Saint-Empire. Par ses généraux, ses préfets et ses rois, dans le royaume de Westphalie comme dans les grands-duchés de Berg et de Francfort, Napoléon avait fait connaître à l’Allemagne, un peu rudement parfois, les bienfaits de l’administration française, alors la première de l’Europe. Il lui avait révélé ce grand secret, qu’elle ne devait plus oublier : l’Organisation, s’appuyant sur la Force. Et il lui avait versé aussi ce breuvage enivrant : la Gloire. Il avait enrégimenté ses peuples dans sa Grande Armée ; il avait entraîné dans les steppes de Russie Saxons, Wurtembergeois, Bavarois, Prussiens, avec les fils de la Révolution, avec les soldats de la France. Il avait forgé de sa main l’épée de l’Allemagne. Un jour, à Leipzig, cette épée s’était retournée contre lui, contre la France ; elle l’avait vaincu en 1814, vaincu en 1815, à Waterloo. Depuis ces jours mémorables, l’Allemagne était ivre d’action, ivre de la joie « de s’être mêlée une fois au grand mouvement du monde. » Elle s’était éveillée définitivement de son sommeil léthargique, en se heurtant au « poitrail du cheval de l’Empereur. »

Alors que la France se l’imaginait absorbée dans son rêve poétique, elle marchait résolument vers la puissance. Il lui restait une troisième étape à accomplir. En ce moment même sous les yeux de la France inattentive, elle faisait un pas gigantesque vers l’unité politique. Un obstacle empêchait la vie de circuler dans ce grand corps, maintenait une foule de petites nations impuissantes, opposées, rivales : c’étaient les douanes. Il fallait abaisser, d’Etat à Etat, ces barrières prohibitives, qui arrêtaient la plus grande Allemagne. Dès 1828, la Prusse avait conclu l’union avec la Hesse-Darmstadt ; en 1833, elle y faisait entrer la Bavière et le Wurtemberg. Cette même année 1828,