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la Pologne, la chute de Varsovie ! « La France a bu le sang de la Pologne ! » Cri injuste, sans doute : mais pour lui, comme pour tant d’autres, c’était la honte, l’humiliation suprême de la France ; il la vit, dans un éclair, impuissante, « abaissée devant le monde ; et il vit avec terreur une nation voisine, jeune, ardente, toute prête à relever l’épée de la France, à recueillir l’héritage glorieux qu’elle laissait tomber en décadence.

C’est dans cet état d’inexprimable souffrance qu’il part, à la fin d’août, pour Heidelberg. Il a pour oublier, — du moins, il l’espère, — l’Allemagne, sa « chère Allemagne, » et l’amour. Mais ce qui l’attendait, c’étaient de nouvelles douleurs.

L’Allemagne n’était plus ce doux pays de pastorale, où, jeune étudiant, il promenait, quatre ans auparavant, ses illusions et ses rêves. « Les choses ont très changé depuis que nous avons quitté ce pays, » écrit-il en octobre à Michelet. L’Allemagne n’avait plus les regards tournés vers la France ; les populations des bords du Rhin qui, à l’époque du voyage de Cousin, attendaient, espéraient les Français, déçues par la politique du nouveau gouvernement, ne comptaient plus sur la réunion de la rive gauche à la France. Déjà elles se ralliaient à la puissance ambitieuse qui, du fond de son lointain Brandebourg, avec une patience, une ténacité inlassable, travaillait à grouper autour d’elle toutes les forces germaniques. Par crainte de la propagande révolutionnaire, les ennemis de la liberté exploitaient les déceptions de ces provinces : l’abandon, la cordialité, l’amour de la France, avaient fait place à la froideur, à la méfiance.

Première déception pour Quinet. Mais le coup le plus douloureux lui vint de la famille de sa fiancée. Il avait jadis uni en elle son amour de la France et de l’Allemagne : le père de Minna Moré, cet honnête tabellion de village, n’avait-il pas été l’ami de Rewbell et de Desaix ? N’était-il pas, de cœur, resté Français ? Mais, en septembre 1831, Edgar Quinet rencontra, au foyer de celle que déjà il considérait comme sa femme, trois personnages nouveaux, trois beaux-frères tudesques, hostiles à la France, l’un surtout qui, après quelques mois de mariage, avait perdu sa jeune femme, et qui avait pris, par ses tendances piétistes et son étroit fanatisme, la plus grande influence sur Minna et ses sœurs. Détestant la France et les Français, il avait fini par persuader à la pauvre Minna qu’une